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dans l’ordre de la connaissance. Le langage, par exemple, « crescit occulto, velut arbor, œvo, » et il a fallu très-longtemps pour se rendre compte de ses éléments constitutifs. De même, on a raisonné bien des siècles avant de connaître une seule règle de logique, et les lois positives, d’un autre côté, ont été précédées dans l’usage par des instincts et des traditions. En philosophie aussi, les principes n’apparaissent qu’à la fin ; ils agissent, il est vrai, avant d’être connus en eux-mêmes, et c’est à leur influence cachée que nous devons les grands systèmes. Mais tant que la philosophie s est développée passivement sous la direction de ces principes, elle ne s’est pas rendu compte de son véritable objet, elle est restée incertaine. La principale cause de la lenteur des progrès, dans cet ordre de recherches, est le refus d’admettre des vérités nécessaires et la croyance que les mathématiques seules comportent des vérités de ce genre. Que faut-il entendre cependant par une vérité nécessaire ? C’est une vérité dont le contraire est impossible. Le signe auquel on les reconnaît, leur critérium, n’est pas la facilité plus ou moins grande avec laquelle on les accepte, mais bien leur conformité à la loi même de contradiction : « Une chose doit être ce qu’elle est ; A est A. » La philosophie, digne de ce nom, doit reposer sur des vérités nécessaires, et c’est pour les avoir proscrites que la plupart des philosophes anglais et allemands ont retardé son développement.

Dès lors, le remède est tout indiqué : c’est de composer, s’il est possible, un système qui soit à la fois raisonné et vrai ; et pourquoi un pareil système, puisque l’homme est raisonnable, serait-il impossible ? La seule règle à suivre pour bien user de la raison, est de n’affirmer rien qui ne soit donné par elle comme une vérité nécessaire, c’est-à-dire comme une vérité dont la réciproque implique contradiction, et de ne nier que les propositions contradictoires avec quelque vérité nécessaire.

Le système des Institutions de métaphysique prétend satisfaire à la fois à ces deux conditions : être raisonné et vrai ; mais son principal objet est la démonstration. Il consiste essentiellement en une suite rigoureuse de vérités nécessaires. La méthode en est toute semblable à celle des mathématiques, car c’est la seule qui puisse donner de bons résultats. Les mathématiques, plus faciles à construire que les autres sciences, ont les premières adopté la vraie méthode ; est-ce une raison pour leur en laisser le privilège ? De plus, par une innovation importante, à chaque proposition est opposée la contre-proposition correspondante. La plupart des doctrines philosophiques doivent leur obscurité, leur inintelligibilité même à l’absence de ces contre-propositions qu’elles prétendent cependant