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penjon. — la métaphysique de j. ferrier

plume est aussi chimérique que celle d’une idée générale conçue absolument en elle-même.

L’insuccès de la philosophie spéculative en ces matières est due principalement à la science de l’esprit humain, à la psychologie, qui accorde à l’homme un prétendu pouvoir d’abstraire, un prétendu pouvoir de généraliser dont il est absolument dépourvu. Nous pouvons seulement considérer plus spécialement ou l’élément particulier ou l’élément général, l’un ou l’autre de ces deux facteurs de toutes nos connaissances ; mais toute connaissance est essentiellement concrète : une pensée abstraite est une expression contradictoire.

Ce qu’est le particulier, ce qu’est le général dans la connaissance, la septième proposition nous l’apprend : « Le moi (ou l’esprit) est connu comme l’élément commun de toute connaissance, — la matière est connue comme l’élément particulier de quelques connaissances : en d’autres termes, nous nous connaissons nous-mêmes comme la partie immuable, nécessaire et universelle de nos connaissances, tandis que nous connaissons la matière, dans toutes ses variétés, comme une portion de la partie changeante, contingente et particulière de nos connaissances, — en langage technique, le ego est le summum genus connu, la partie générique de toute connaissance ; la matière est la partie différentielle connue de quelques connaissances. »

Nous voyons nettement quels sont les éléments constitutifs de la connaissance. Le moi a la même extension que l’universel : il est absolument l’élément commun et permanent. On ne peut concevoir, sans contradiction, aucune intelligence comme capable de connaître quoi que ce soit sans se connaître elle-même. La matière, au contraire, n’est pas nécessaire à la constitution de la connaissance. Sans doute il n’y a pas de pensée sans un élément particulier et variable ; mais cet élément peut n’être pas la matière, et il est possible qu’il y ait, au moins pour d’autres intelligences, d’autres objets.

Il est assez singulier que cette proposition n’ait pas été formulée et mise en évidence depuis longtemps. Les plus anciens philosophes ont tenté, il est vrai, de faire ressortir ce trait commun de toute pensée, et on peut interpréter en ce sens la fameuse inscription du temple de Delphes, l’antique γνῶθι σεαυτον, que l’on traduirait alors par ces mots : « N’oublie pas, ô homme, que c’est de toi-même que tu as conscience en même temps que de tout ce qui se présente à toi. » Mais cet oracle a vainement retenti. L’habitude même que nous avons de nous connaître nous a fait, en quelque sorte, nous perdre de vue nous-mêmes et chercher ailleurs l’universel. Nous faisons