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penjon. — la métaphysique de j. ferrier

permet de marquer nettement la différence qui existe entre la connaissance et la pensée, et qui peut se marquer par ces deux mots : présentation et représentation. Elle est, en outre, le seul fondement d’une vraie philosophie de l’expérience, bien mieux que la maxime sensualiste déjà réfutée. Toutefois l’esprit a dans ses représentations une certaine liberté : il peut ou ajouter ou ôter quelque chose à ce qui s’est présenté, mais à la condition de ne rien ajouter d’absolument nouveau, ce qui serait contradictoire, et de ne rien retrancher d’essentiel. C’est cette seconde restriction que les philosophes d’ordinaire refusent d’admettre et que nie la contre-proposition : « On peut, dans la conception, négliger quelque élément essentiel à la connaissance. » Si c’était vrai, nous pourrions penser ou nous représenter moins que nous ne pouvons connaître, en d’autres termes, nous représenter ce que nous serions incapables de connaître. Nous sommes redevables à cette pure contradiction de la théorie psychologique de l’abstraction dont nous avons fait justice.

Le minimum qu’il nous soit donné de penser est donc égal au minimum à connaître, le minimum cogitabile au minimum scibile : de part et d’autre, l’unité est formée par la synthèse de l’objet et du sujet.

La douzième proposition se déduit naturellement, ainsi que la treizième, de la précédente : « L’univers matériel en lui-même et toutes ses qualités en elles-mêmes, sont non-seulement inconnaissables, mais encore ne peuvent être des objets de pensée. » — « Le seul univers indépendant auquel un esprit puisse penser est l’univers en synthèse avec quelque autre esprit. »

Il nous importe au plus haut degré de savoir quel est le véritable objet de nos connaissances, de nos pensées. Ces deux propositions servent à nous le mieux apprendre. Elles préviennent, en outre, certaines réserves et certaines objections que la psychologie nous opposerait. Nous sommes aussi incapables de penser à la matière en soi que de la connaître. Nous n’admettons donc pas avec Kant qu’elle soit un noumène (νοούμενον), c’est-à-dire précisément l’opposé de ce que Platon voyait en elle. Il n’est pas peu étrange de voir ainsi le γιγνόμενον des anciens changé en leur ὄντως ὄν, le pur phénomène inintelligible en la réalité, en la véritable substance. L’imagination, il est vrai, nous trompe ici, comme la perception nous trompait quand il s’agissait de la présentation ou de la connaissance, et nous oublions aisément l’élément essentiel de toute pensée, le moi, bien qu’il ne cesse jamais d’être présent. C’est ainsi que nous croyons nous rappeler les choses que nous avons vues, et non nous-mêmes les ayant vues ; mais c’est une pure illusion. Il n’y a pas non plus