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d’autres termes, il est possible que des intelligences différentes de l’intelligence humaine (s’il y en a) perçoivent les choses d’après d’autres lois ou d’une autre manière que par la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût ; plus brièvement, nos sens ne sont pas des lois de connaissance, ou des modes de perception qui s’imposent nécessairement ou universellement à toute intelligence. » La raison, en effet, ne nous oblige pas à croire que nos sens soient, tels qu’ils sont, nécessaires à l’exercice de l’intelligence. L’expérience elle-même nous permet de constater assez d’altérations de ces sens pour que cette proposition, par laquelle nous passons des lois nécessaires de la connaissance à ses lois contingentes, soit facilement admise. Sans doute l’absolu est toujours la synthèse du sujet et de l’objet, mais le sujet seul est immuable. L’erreur du représentationisme, c’est-à-dire de la doctrine d’après laquelle nous ne connaissons les objets extérieurs que dans nos propres perceptions ou dans les idées que nous en avons et non directement, cette erreur vient de ce que ses partisans n’ont pas fait exactement cette analyse. Reid a mal compris cette doctrine et, on peut dire, s’est battu, en l’attaquant comme il l’a fait, contre des moulins-à-vent ; mais si elle est vraie en tant qu’elle affirme, par une anticipation encore un peu obscure de la grande loi de toute raison, que rien d’objectif n’est perçu sans qu’il s’y mêle quelque chose de subjectif, elle ne répond pas comme il le faudrait à cette question : Quel est cet élément subjectif qui doit être perçu en même temps que l’élément objectif ? Berkeley et ses disciples ont oublié de distinguer dans cet élément subjectif, le moi, qui fait nécessairement partie de toute connaissance, et les sens qui n’y contribuent que d’une manière contingente. Par suite, ou bien ils ont donné aux sens la même importance qu’au moi, et les ont considérés comme aussi nécessaires, ou bien ils ont fait partager au moi la contingence des sens. Dans les deux cas, les conséquences sont également fausses. D’un côté, en effet, ils sont conduits à un anthropomorphisme grossier, si aucune intelligence ne peut se concevoir autrement que douée des mêmes sens que nous ; et dans la seconde alternative, ils aboutissent à un matérialisme qui ne nous répugne pas moins que l’autre conséquence, puisque le moi n’est plus l’élément nécessaire delà connaissance, et qu’une intelligence incapable de se connaître elle-même resterait cependant capable de connaissance. Nous ne reviendrons pas, du reste, sur les contradictions qu’impliquerait cette dernière hypothèse.

Si nous résumons les résultats auxquels nous sommes arrivés dans l’étude de cette importante partie des Institutions de meta-