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penjon. — la métaphysique de j. ferrier

familiariser avec elles par la méditation, par la répétition aussi, au dedans de soi-même, de certaines formules que l’on oppose aux maximes vulgaires. On arrive ainsi à acquérir cette ce idée de derrière la tête » dont parle Pascal, qui se mêle à tous nos jugements, sans nous rendre pour cela trop différents des autres hommes, sans nuire à la vie ordinaire. Seulement nous comprenons mieux les choses et savons mieux en quoi consiste la réalité. D’ailleurs nous n’avons pas besoin de philosopher constamment : ce n’est ni désirable, ni nécessaire, et ce serait la pire sorte de pédantisme, comme le fait remarquer M. Ferrier, que de faire à tout moment étalage des conclusions de la science. L’important même n’est pas de sentir la vérité de manière à la faire paraître à tout propos, mais bien de la connaître, et on peut perdre de vue les arguments sur lesquels elle repose sans la perdre elle-même, a Un poète est-il toujours un poète, un astronome toujours un astronome, sans se distraire jamais ou de la poésie ou de l’astronomie ? — Quand ce dernier descend de son observatoire, il laisse derrière lui ses calculs et ses démonstrations. Il les oublie pour un temps. Il pense, il sent, il parle comme tout le monde : il voit comme les simples mortels les phénomènes de la terre et du ciel : son chapeau est plus large que le soleil ! Mais quand il est remonté dans son observatoire, il comprend combien les révolutions réelles des astres diffèrent de leurs révolutions apparentes. Ainsi du métaphysicien. Il peut, lui aussi, sentir et s’exprimer comme le premier venu ; mais il sait mesurer, à ses heures, combien les apparences diffèrent aussi de la réalité dans les mouvements de la pensée humaine. »

Si, pour finir, nous nous permettons d’opposer une comparaison à celle de M. Lewes que nous avons citée : la doctrine de M. Ferrier, si supérieure, à nos yeux, par sa portée et sa simplicité même aux théories ordinaires, nous apparaît comme un de ces glaciers des Alpes, par eux-mêmes stériles et près desquels l’homme ne saurait habiter, mais d’où s’écoulent les ondes qui vont fertiliser au loin les vallées et les plaines cultivées.

A. Penjon.