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Paul REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

exemple, à propos d’un pot qu’on a sous les yeux, « ce pot n’est pas, » Mais l’âme n’étant pas un objet sensible, la perception ne peut pas en prouver l’existence. La déduction logique (ayant la perception pour point de départ) ne saurait non plus servir de preuve en pareille matière ; car si l’on affirme que l’existence de l’âme est établie par la çruti au moyen d’arguments, et que ces arguments résultent de la perception, nous disons que c’est une erreur. On ne se rend pas compte, en effet, par les sens de l’existence de l’âme sujette à la transmigration, et ceux qui présentent l’objection en question, quoique l’existence de l’âme soit prouvée par la tradition védique et par des preuves ordinaires indiquées par les Vedas, s’imaginent à tort que la perception du moi et les preuves empruntées aux Vedas sont le fruit de leur propre intelligence, et que l’existence de l’âme est établie par la perception et la déduction[1]. »

Mais si la perception et la déduction ne peuvent servir de base au système même, il est permis d’en user à l’intérieur des dogmes qui le circonscrivent. Çankara le constate en ces termes, dans un passage de son commentaire sur le deuxième sûtra des Vedânta-Sûtras :

« Les préceptes du Vedânta établissant que (Brahma) est l’auteur de la création, de la conservation et de la destruction du monde, il n’est pas interdit d’employer comme moyen de preuve la déduction logique en harmonie avec ces préceptes, afin d’en confirmer la compréhension. Le raisonnement, en effet, est d’accord avec la çruti. Les passages tels que ceux-ci qui s’y trouvent, « Il faut entendre (les enseignements relatifs à l’âme suprême], il faut y réfléchir, » montrent que l’intelligence humaine est l’auxiliaire (de la science) de l’âme suprême. Il n’en est pas ici comme pour le désir de connaître le devoir (le système de la Pûrva-mîmâmsâ qui suppose et favorise la transmigration), où la çruti seulement et ce qui en dépend sert de preuve ; en ce qui regarde le désir de connaître Brahma (le système Vedânta), la çruti et ce qui en dépend, ainsi que la perception et ce qui en dépend, servent de preuves correspondantes[2]. »

En ce qui concerne la smriti, Çankara (Com. sur les Vedânta-Sûtras 2. 1. 1) divise en deux classes les ouvrages qui sont rangés

  1. Introduction au commentaire sur la Brihad-Aranyaka-Upanishad ;traduction Röer, p. 3 et 4.
  2. Satsu tu vedàntavâkyeshu jagato janmâdikâranavâdishu tadarthagrahanadàrdhâyânumânam api vedântavâkyâvirodhi pramànam bhavan na nivâryate. Çrutyaiva ca tarkasyâpy abhyupetatvât. Tathâ hi crotavyo mantavya itiçrutih… iti ca purushabuddhisâhâyyam âtmano darçayati. Na dharmajijñâsâyâm iva çrutyudaya eva pramànam brahmajijñâsâyâm kim' tu çrutyâdayo’ nubhavàdayaç ca yathâsambhavam iha pramànam.