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d’ordinaire les cinq sens. Il reconnaît, avec raison, l’existence de sens du système (systemic sensés), distribués dans l’organisme tout entier au lieu d’être localisés dans quelque partie spéciale. On peut les distinguer en sens nutritif, sens respiratoire, sens génésiaque et sens musculaire. Les sensations qui accompagnent la sécrétion, l’excrétion, la faim, la soif, etc., se rapportent au premier ; les sensations de suffocation, d’oppression, etc., au second ; les sentiments sexuel et maternel au troisième. Quant aux sensations du sens musculaire, elles entrent comme éléments dans toutes les autres.

Les sensations des cinq sens sont plus impersonnelles que celles des sens organiques ; de plus, elles sont moins massives, moins diffuses, plus susceptibles d’une localisation déterminée. Par toutes ces causes, elles ont une importance prépondérante dans la formation de la connaissance objective ; elles sont éminemment intellectuelles. Les sensations organiques sont surtout motrices ; elles nous poussent à l’action ; elles constituent, pour la plus grande part, le monde des émotions et des sentiments. Pour cela, il est vrai, elles se combinent avec les sensations objectives ; mais elles se les subordonnent comme des moyens à leurs fins ; car, dit M. Lewes, nous ne voyons que ce qui nous intéresse.

C’est une grande erreur de croire que l’on peut considérer l’intelligence à l’exclusion de la sensibilité, prise dans son ensemble, et construire une théorie de la connaissance en négligeant les sensations de l’organisme. Telle est la prétention du sensualisme vulgaire* ; il ne voit que les cinq sens, et méconnaît la subordination nécessaire où ils sont relativement aux sens plus intimes, pourrait-on dire, et plus énergiques du système tout entier. Il méconnaît encore, ce qui est plus grave, l’influence du milieu social, sans laquelle les manifestations les plus hautes de la pensée seraient éternellement impossibles. En effet, si la sensation est le point de départ de la connaissance, elle n’est pas la connaissance elle-même. Une sensation est, objectivement, un groupe de vibrations nerveuses ; une perception est une synthèse de sensations fournies par des sens différents. Par exemple, quand je perçois une fleur, j’unis des sensations" du toucher, de la vue, de l’odorat, et je les rapporte à un seul objet. Percevoir, c’est donc établir un lien entre divers éléments ; dans la perception, les groupes de vibrations nerveuses se groupent à leur tour, et c’est ce que M. Lewes appelle la logique de la sensation (logic of feeling).

Mais cette connaissance d’ordre inférieur n’est pas encore la pensée. « Il est nécessaire, dit M. Lewes, de distinguer la conception, ou la formation de symboles exprimant des idées générales, de la