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théorie, M. Lewes la propose avec une sorte de solennité qui ne nous paraît pas justifiée par une originalité véritable ; il nous est difficile d’y voir autre chose, que cette proposition élémentaire de la psychologie courante : nulle faculté n’agit à l’exclusion des autres.


Tels sont, croyons-nous, les points fondamentaux de la psychologie de M. Lewes. Nous ne pouvons avoir la prétention de les soumettre ici à une discussion approfondie ; indiquons seulement les principales objections qu’ils nous paraissent devoir soulever.

M. Lewes signale, avec raison, l’importante différence qui sépare la conception de la perception. Il montre fort bien que la conception est le produit d’une abstraction et qu’elle exprime sous la forme d’une unité symbolique ce qu’il y a de commun à un grand nombre de perceptions. La conception est l’essentielle condition de la pensée, elle est le privilège, la caractéristique de l’homme. Tout cela, sans être bien nouveau, est parfaitement juste ; mais tout cela nous semble impliquer l’existence d’une activité qui n’est pas celle de l’organisme. Nous l’avons dit plus haut et ne pouvons que le répéter ici, car c’est la difficulté contre laquelle tous les adversaires du spiritualisme viennent fatalement échouer : l’abstraction manifeste un pouvoir, une faculté dont les processus physiologiques ne rendent pas compte. Il est déjà malaisé de comprendre que des groupes de vibrations nerveuses s’intègrent tout seuls pour donner naissance à une perception, et l’on n’a pas détruit, que nous sachions, la vieille objection de Socrate, demandant « s’il ne serait pas étrange qu’il y eût en nous plusieurs sens, comme dans des chevaux de bois, et que nos sens ne se rapportassent pas tous à une seule essence, qu’on l’appelle âme ou autrement, avec laquelle, par les sens’ comme autant d’instruments, nous sentons tout ce qui est sensible[1]. »

Mais que dire de la conception, qui, de l’aveu même de M. Lewes, est de tout autre ordre que la perception ? Quelle est cette nouvelle opération physiologique qui, du particulier, fait sortir le général, du concret l’abstrait, élimine les caractères individuels, retient les attributs communs, et condense en un symbole unique une pluralité indéfinie de perceptions ? Où a-t-on vu et comment a-t-on prouvé que le travail de l’organisme puisse tout seul aboutir à cette transformation merveilleuse ? Si l’on n’a pas encore réussi à montrer que les processus cérébraux suffisent à produire la sensation,

  1. Théét., Tr. Cousin, t. II, p. 156.