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Alexander MAIN. — VARIÉTÉS

En ce sens, les services qu’elle a rendus à notre âge sont déjà immenses ; et elle est destinée à jouer un rôle plus bienfaisant encore dans les âges à venir, parce que, d’ici peu, on commencera à voir clairement que beaucoup de ceux qui ont confondu leur cause avec celle du positivisme sont pauvrement armés pour en soutenir les luttes, tandis que beaucoup d’autres qui semblent lui avoir voué une véritable haine s’apercevront qu’ils ont été positivistes toute leur vie et ne sont restés éloignés du camp de leur chef que par suite de l’intervention d’amis ignorants, quoique bien intentionnés, de la cause positiviste.

C’est une erreur, et même une impertinence, que de confondre le Positivisme avec le système de Comte : la méthode positive remonte au jour où le premier fait bien constaté fut distinctement perçu et fidèlement observé ; tandis que les applications que Comte en a faites datent d’hier pour les trois quarts, et peuvent, demain même, être convaincues de nullité. Le mérite de Comte fut de saisir la méthode, d’en reconnaître la valeur transcendante, et de travailler là-dessus de son mieux : son erreur fut de croire, comme il paraît l’avoir fait, que la méthode, et les applications de cette méthode qui lui sont propres, doivent subsister ou tomber ensemble, — erreur pardonnable, mais qu’il n’est sûrement pas nécessaire de continuer à répéter. Les positivistes, comme tous les ouvriers énergiques et ardents du progrès, doivent s’attendre à être combattus et raillés par les paresseux partisans d’un système philosophique purement conservateur : mais il est grand temps de faire distinctement comprendre que le positivisme anglais au moins et le comtisme ne sont pas nécessairement la même chose. Et nous ne pouvons trop vivement protester contre cette tendance pernicieuse à étiqueter un grand système philosophique du nom d’un seul homme et à conclure alors complaisamment qu’on le connaît tout entier.

Si Comte fut parfois aussi positif dans ses négations que dans ses affirmations, s’il fut quelquefois tenté d’admettre au nombre de ses faits, ceux-là seuls qui pouvaient être facilement établis, et de rejeter quelques-uns des plus élevés, parce qu’il était personnellement incapable de les saisir, ce n’est pas une raison pour conclure que tous ceux qui, en ce moment, emploient et développent activement sa méthode, sanctionnent en même temps ses restrictions excessives et endossent tout l’ensemble de ses applications. M. G. H. Lewes, par exemple, ne s’oppose pas, je pense, à ce qu’on le considère comme un positiviste de l’ordre le plus prononcé ; mais quiconque lira avec soin ses Problèmes de la Vie et de la Pensée ne pourra manquer de s’apercevoir que son système diffère, sous bien des rapports essentiels, de celui de Comte, par la large place qu’il laisse dans sa philosophie à la construction idéale et par l’importance qu’il attache au sentiment. Les opinions de M. Lewes se distinguent profondément de celles de Comte ; elles sont aussi délivrées (heureux débarras) de toutes les négations exclusives, de toutes les restrictions gênantes de Comte, tandis que la spéculation de la plus haute portée reste sans entraves. Sans doute, il y a une phi-