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a. herzen. — identité de la conscience du moi

tient à peu près le même pendant des périodes plus ou moins longues de la vie ; c’est qu’alors le produit des sensations présentes et passées, périphériques et centrales est aussi à peu près le même ; en effet, il devient un autre, dès que ce produit devient un autre. Ce changement s’opère peu à peu dans les conditions physiologiques (au passage de l’enfance à la puberté, de l’adolescence à l’âge mûr, de celui-ci à la vieillesse) ; il s’opère rapidement dans des conditions pathologiques (par exemple dans la névropathie cérébrocardiaque). Nous sommes souvent frappés par ces grandes métamorphoses du moi, et quelquefois nous avons beaucoup de peine à nous reconnaître dans l’une de nos phases passées ; au contraire, les petits changements journaliers nous échappent souvent tout à fait. Il en est de la personnalité morale exactement comme de la personnalité physique ; les changements incessants de l’une et de l’autre ne se laissent constater qu’à de longs intervalles, et nous avons toujours la tendance de les nier, de les croire nuls, jusqu’au moment où leur évidence vient nous « crever les yeux ».

On nous objectera peut-être que si le moi n’était qu’une forme interrompue et variable de la cénesthésie, il ne saurait nous fournir qu’un chaos d’images isolées, sans aucun lien entre elles, comme les pierres destinées à former une mosaïque, accumulées pêle-mêle, sans ordre ni rapport les unes avec les autres.

Mais les sensations réflexes qui reproduisent les états de conscience passés, et à l’ensemble desquelles nous donnons le nom de mémoire, sont là, et font, elles aussi, partie de la cénesthésie. Grâce à elles toute sensation est immédiatement suivie de la représentation de beaucoup d’autres, passées, et celles-ci évoquent à leur tour l’image d’un grand nombre d’autres plus anciennes encore, et ainsi de suite ; ces souvenirs de nos états de conscience successifs font en sorte que le moi se complète, et se reconnaît au milieu de ses vicissitudes, assiste simultanément aux phases successives de son développement et sente vivement qu’il est la continuation de ce qu’il était, bien qu’il ne soit plus exactement le même, et quelquefois un autre ; s’il ne se souvenait pas d’avoir été « un autre », il ne saurait pas qu’il est « le même » ; le sentiment de sa continuité et de son unité lui manque complètement lorsque la mémoire manque. Aussi ne l’avons-nous point du tout par rapport à la première période de notre existence ; nous n’avons, en effet, qu’une idée subséquemment acquise, par ouï dire et par analogie, d’être la continuation du petit enfant auquel notre mère a donné le jour ; c’est par le raisonnement que nous arrivons à cette conclusion, mais le sentiment d’avoir été cet être-là manque absolument, et ne commence que beaucoup plus tard, à