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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS



E. Renan. — Dialogues et fragments philosophiques. Paris, Calmann Lévy, 1876. — Au mois de mai 1871 se promènent dans le parc de Versailles quelques amis, « philosophes de cette école qui a pour principes fondamentaux le culte de l’idéal, la négation du surnaturel, la recherche expérimentale de la réalité. » Ils se plaisent à dresser le bilan de leurs croyances, à confronter leurs idées générales sur l’univers et sur Dieu. Par une fiction empruntée aux dialogues de Platon, les personnages se transfigurent bientôt en idées, en archétypes : l’un devient le logicien des Certitudes, un autre le devin des Probabilités, le troisième l’interprète des Rêves, Et l’entretien, à vrai dire, ne se poursuit plus : il ne reste que trois monologues dits successivement par les trois protagonistes abstraits : ou plutôt, et pour lever tous les masques, il n’y a plus qu’une méditation, en trois parties, de l’esprit le plus subtil, le plus capricieux et le plus raffiné de ce temps. Ce livre, avec toutes les réserves délicates qu’il tente de faire, est la confidence, sur les plus hauts problèmes, de toute une vie dévouée au culte unique de la pensée. Comme les « Essais » de Montaigne, il est de « bonne foy » ; d’aucuns l’ont trouvé trop sincère. Faut-il s’en plaindre ?

I. Certitudes. — À la limite de la science humaine, telle que les méthodes expérimentales l’ont faite, telle que trois siècles de découvertes et de théories l’ont éprouvée, les questions qui se posent encore peuvent-elles être atteintes avec quelque certitude ? La religion et la métaphysique l’affirment : Malebranche, assurément, n’en doutait pas. Or, c’est par une citation de Malebranche que s’ouvrent les Dialogues. Il faudrait peut-être s’étonner, n’était l’imperceptible ironie de l’auteur, qui aime assez les alliances singulières et les rapprochements imprévus. Et de fait, Malebranche n’intervient ici qu’en compagnie de David Hume pour plaider contre le miracle. Il n’y a pas de dérogation arbitraire à la constance des lois naturelles : telle est la première certitude. Tous les arguments mis en avant par la polémique du xviiie siècle, valent contre l’hypothèse d’un être supérieur au monde qui pourrait, à son gré, interrompre l’ordre nécessaire des choses. M. Renan qui, plus dédaigneux que Strauss, a cru devoir quelque part diminuer l’œuvre de Voltaire, ne craint pas aujourd’hui de le suivre en certaines de ses pages, plus railleuses, plus légères que de coutume, les plus vraiment françaises