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analyses. — renan. Dialogues philosophiques.

cédé à la théologie ? La grande œuvre d’Auguste Comte fut la « politique positive » : en plus d’une page, de même, les Dialogues de M. Renan ressemblent à un traité politique. Aussi bien, à y réfléchir d’un peu près et de nos jours plus que jamais, qu’est-ce que la philosophie la plus haute, sinon un arrangement du monde d’après les lois de la raison ? Bossuet écrivait la politique tirée de l’Écriture Sainte : Comte écrit la politique tirée de la science humaine.

Est-ce donc l’humanité qui achèvera la science parfaite, devenue l’idéal de l’univers ? Ce seul terme de parfait suffit à éveiller la défiance : et Euthyphron n’a pas de peine à remarquer que Théophraste oublie trop la philosophie désabusée de l’Ecclésiaste. Tout n’est-il pas vanité, et qui sait si la terre, si l’humanité ne mourront pas, comme il est dit dans le livre de Job « avant d’avoir atteint la sagesse ? » La vie, l’esprit même, n’obéissent-ils pas à la loi commune : commencements humbles, progrès lents, progrès rapides, perfection relative, légère baisse, baisse rapide, mort ? M. Renan, qui réserve tout son pessimisme pour le moment précis où il vit, en convient sans difficulté : l’heure présente est triste et ne laisse guère d’espérance. Deux dangers menacent la planète : la fin du charbon de terre, et la diffusion des idées démocratiques. Le soleil s’éteint, et sur le globe où se confine la vie humaine, une irrémédiable décadence est possible. « Un âge d’abaissement viendra peut-être, un moyen-âge, non suivi de renaissance, où personne ne comprendra plus une philosophie quelque peu relevée. » M. Renan parfois se plaît à supposer toutes les déchéances, toutes les défaites, comme s’il avait joie à décourager son temps. Lui qui, dans une seconde, promet de se montrer si confiant, il accepte tous les doutes injurieux à ce siècle : quand il désespère de l’œuvre humaine, il y met du dépit, plutôt que de s’avouer les limites éternelles, et les antinomies invincibles qui arrêtent l’essor de la pensée. C’est à se demander si le plus souvent son scepticisme n’est pas mauvaise humeur et ironie, une sorte de vengeance contre les déceptions contemporaines. Le fait est que, le temps présent une fois oublié, rien ne trouble son imperturbable assurance.

Et d’abord, aux craintes d’Euthyphron il répond que si l’humanité terrestre n’accomplit point la tâche de la science, il en appelle à toutes les planètes. « Songeons, dit-il, que l’expérience de l’univers se fait sur l’infini des mondes. Dans le nombre, il y en aura un qui réussira à produire la science parfaite, et notez qu’une seule tentative heureuse suffira. L’univers est un tirage au sort d’un nombre infini de billets, mais où tous les billets sortent. Quand le bon billet sortira, ce ne sera pas un coup de providence ; il fallait qu’il sortît. » La nature dispose du temps et de l’espace : il importe peu qu’elle tire très-juste sur la cible, si elle tire assez pour finir par frapper le point objectif. Qu’elle gâche et dépense la matière à son aise : l’œuvre se fera. M. Renan reprend ici quelques-unes des idées qui lui sont le plus chères : il applique à l’ensemble de l’univers la loi de sacrifice et de compensa-