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analyses. — renan. Dialogues philosophiques.

incertaines qu’elles dussent paraître. Son œuvre, certes, il ne s’en défend pas, a tout ensemble l’inquiétude et l’attrait du mystère. Peut-être l’a-t-il écrite en une heure troublée où, par moments, la crise des temps lui arrachait des visions d’Apocalypse. Peut-être encore s’y est-il réfugié, comme en un Décaméron ; tel Boccace pendant la peste de Florence. Peut-être enfin a-t-il simplement écouté la conversation que tenaient entre eux, comme il dit, les lobes de son cerveau ; et c’est cette conversation qu’il a reproduite. Il ne s’est interdit ni les audaces, ni les caprices, ni les chimères : et l’ironie ne lui déplaît pas, puisqu’il est de ceux qui pensent que parfois se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher. Étrange par endroits, souvent exquis, toujours raffiné, ses fantaisies mêmes intéressent. Il est un mot de la Rochefoucauld que je ne voudrais voir appliquer qu’à lui seul, lorsqu’il se distrait à rêver : « La plus subtile folie est faite de la plus subtile sagesse. »

A. Gérard.

E. Dühring. Cours de philosophie (Cursus der philosophie), ou Exposé rigoureusement scientifique des principes qui doivent servir a l’explication du monde et a la direction de la volonté. Leipzig, chez Koschny, 1875.

M. Dühring, docent à l’Université de Berlin, s’est fait connaître du public depuis une dizaine d’années par d’importants travaux sur l’économie politique et la philosophie. Son Histoire critique des principes généraux de la mécanique (1867), son Histoire critique de la philosophie (1er  édit. 1869, 2e édit. 1873), avaient vivement excité l’attention du public par l’originalité des idées, l’allure décidée et souvent provoquante de la polémique, enfin par la richesse et la sûreté de l’érudition. Mais on ne connaissait encore dans Dühring que le critique, pénétrant, passionné jusqu’au paradoxe, des autres philosophes. On attendait avec impatience l’exposé complet, systématique, définitif de sa propre doctrine, qui se faisait pressentir par parties, mais qui se dérobait jusque-là dans l’ensemble au jugement du public.

Le Cours de philosophie a répondu au désir des admirateurs comme des adversaires de Dühring. Dans un abrégé rapide, l’auteur énonce, affirme plutôt qu’il ne développe ni ne démontre les principales théories de son système. Sa philosophie s’intitule, avec un peu de prétention peut-être, philosophie de la réalité (Wirklichkeitsphilosophie). Au premier abord, l’appellation n’est pas suffisamment claire par elle-même. À côté de Dühring, un autre philosophe, von Kirchmann, par exemple, revendique pour sa propre doctrine le nom de Réalisme. D’ailleurs toute philosophie ne se donne-t-elle pas pour l’interprétation fidèle de la réalité ? Un peu de réflexion cependant dissipe l’obscurité. Sous ce nom de Wirklichkeit, la philosophie allemande, depuis Kant, désigne à