Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
revue philosophique

n’apparaissent quelquefois que lorsque les paupières sont fermées, ou lorsque les yeux prennent une direction déterminée ; elles peuvent être unilatérales ; dans certains cas elles suivent les mouvements des yeux. Un mode curieux d’hallucination de la vue est celui qui est cité par Patterson et que Brewster a décrit le premier[1]. Il s’agit de malades chez lesquels les images se dédoublent quand on modifie la direction de l’un des yeux. Voici un fait de ce genre qu’a fait connaître dernièrement M. le Dr  Despine : « Un jeune homme, sans être aliéné, présentait des crises extatiques pendant lesquelles il voyait la Vierge et l’entendait parler. Saisissant le moment où il disait : « Je vois la Vierge, » M. Despine comprima légèrement à travers les paupières le côté d’un des yeux, en demandant au malade s’il voyait une ou deux images de la Vierge. Il répondit aussitôt : « J’en vois deux, une ici et une autre là. » La distance indiquée n’était pas grande. Cette expérience répétée à plusieurs reprises, a toujours donné le même résultat » (p. 39).

Les autres sens, le goût, l’odorat, le toucher, sont assez fréquemment le siège d’hallucinations. Comme exemple d’hallucination du toucher on cite ces faits dans lesquels les malades se croient en verre, en beurre, en cire ; mais on peut se demander s’il ne s’agit pas là de conceptions délirantes qui n’ont rien à faire avec les représentations de l’halluciné. Pour en finir avec cet exposé des faits, signalons les hallucinations de la sensibilité génitale, de la sensibilité viscérale à laquelle on rapporte le cas de cette femme qui croyait avoir un concile dans le ventre, et qui mourut d’une péritonite chronique.

2° Les hallucinations psychiques qui portent exclusivement sur le sens de l’ouïe forment un groupe mal défini, et qui paraît reposer sur des métaphores de malades. Ceux-ci parlent, en effet, de conversations d’âme à âme, de langage de la pensée, de sixième sens, etc. Aussi croyons-nous avec M. Bail « que ces troubles psychiques sont bien plus voisins des conceptions délirantes que les hallucinations proprement dites ; ou plutôt, que ce sont des phénomènes intermédiaires, qui servent de transition, pour ainsi dire, entre ces deux groupes différents » et que, par conséquent, on ne devrait pas songer à en faire un groupe spécial.

Toutes les théories que l’on a proposées pour expliquer l’hallucination se ramènent à trois jusqu’ici :

1° L’hallucination a son origine dans une excitation de l’appareil sensoriel externe ;

2° L’hallucination est un phénomène purement psychique dans lequel les idées acquièrent l’intensité de la sensation ;

3° C’est un phénomène à la fois sensoriel et psychique.

La première théorie n’est plus soutenable, car elle ne peut rendre compte des hallucinations de la vue chez les aveugles, de celles de l’ouïe chez les sourds, et surtout de la généralisation de l’hallucination aux divers modes de la sensibilité.

  1. V. Baillarger. Mémoire sur les Hallucinations, p. 378 et s.