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Paul tannery. — la géométrie imaginaire.

était à peu près inutile avec la marche d’Euclide. Le n° XII : — Deux droites ne peuvent limiter aucun espace, — est au contraire absolument indémontrable. Cette proposition est d’ailleurs implicitement supposée dans les définitions. Enfin le n° XI est le fameux postulatum des parallèles.

L’habitude s’est introduite depuis de désigner sous le nom d’axiomes les propositions primordiales de la géométrie. Je répète que, selon toute probabilité, le terme d’hypothèses eût été jugé plus convenable par Euclide.

Quoi qu’il en soit, il est remarquable que le rejet d’un quelconque des axiomes, implicitement ou explicitement admis par Euclide, en dehors de l’axiome XI (postulatum), arrêterait dès le début la chaîne des propositions démontrées. Vingt-huit, au contraire, se suivent en toute rigueur, avant qu’il soit besoin d’invoquer cette affirmation spéciale.

Il était donc permis de supposer que la démonstration en était possible, et la question restait pendante depuis l’antiquité. Mais tout effort était resté infructueux. La presque impossibilité d’éviter un cercle vicieux dans le raisonnement était bien constatée. Une seule voie restait ouverte au géomètre assez hardi pour l’entreprendre. Il s’agissait de supposer que la proposition à démontrer n’était pas vraie et de pousser la nouvelle hypothèse jusqu’à ses dernières conséquences, fallût-il refaire toute la géométrie.

Si la proposition était démontrable, c’est-à-dire, pouvait être ramenée aux autres axiomes admis, on devait, en suivant cette voie, arriver à une contradiction ; dans le cas contraire, il fallait avouer qu’elle n’était pas démontrable.

C’est ce dernier cas qui s’est réalisé ; le chemin complet avait d’ailleurs été parcouru par Gauss dès 1792, mais il n’a pas publié ses travaux ; ce fut sur des terres plus neuves, plus affranchies de la routine, que le germe de la pensée du maître alla porter ses fruits.

En 1832, Wolfgang Bolyai, ancien camarade de Gauss à Gœttingue, professeur à Maros-Vasarhely (Transylvanie), publiait dans un de ses traités, un mémoire où son fils, Johann Bolyai[1], exposait dans tous ses développements nécessaires ce que Gauss nommait la géométrie non-euclidienne.

Dès 1829, Lobatchewsky (né en 1793, mort en 1856), professeur à l’université de Kazan[2], où il avait fait ses études sous des maîtres

  1. La science absolue de l’espace, etc., par Jean Bolyai (traduit par J. Hoüel). Paris, Gauthier-Villars, 1868.
  2. Notice historique sur la vie et les travaux de Nicolas Ivanovitch Lobatchewski, traduit du russe par S. Potocki, dans le Bulletino di bibliografia et