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pensée comme existant dans l’espace, et il est absurde de dire que c’est l’espace qui existe dans la pensée. Il y a, selon nous, cette différence entre les faits mathématiques et les faits physiques que pour les premiers, la démonstration est, en raison de leur universalité, toujours à notre portée, tandis que dans les autres sciences, à mesure que l’on s’élève des mathématiques à la mécanique, de la mécanique à la physique, de la physique à la chimie, de la chimie à la biologie, et de la biologie à la sociologie, la vérification expérimentale est soumise à des conditions de plus en plus complexes.

Cette complexité rend la démonstration de plus en plus difficile et augmente les chances d’erreur. Aussi M. Delbœuf reconnaît-il que les résultats auxquels il est parvenu en psychologie ne sont pas toujours démontrés aussi parfaitement que le sont les vérités mathématiques ou certaines lois physiques d’une vérification expérimentale plus simple : les expériences auxquelles il a eu recours sont, à cause de cette complexité, susceptibles en un certain nombre de cas, d’une interprétation différente ; d’autres fois les faits qui ont servi de base à ses inductions sont eux-mêmes mêlés d’erreurs. Mais M. Delbœuf prétend avec raison que, malgré des imperfections inévitables, ses inductions, ses hypothèses, et l’ensemble de ses conclusions présentent un caractère tellement précis, tellement positif, qu’il ne peut plus être permis de leur opposer des raisonnements d’un caractère purement spéculatif ou des déductions à priori. On ne peut donc avoir la prétention de les réfuter qu’en montrant leur contradiction avec d’autres faits expérimentalement démontrés. Selon M. Delbœuf la différence entre la psychologie naissante et les vieilles psychologies d’écoles matérialistes, ou sensualistes, ou spiritualistes consiste principalement en ce que les hypothèses des dernières ne reposent point sur des réalités, tandis que les hypothèses de la psychophysique ou de la psychologie scientifique sont la généralisation de faits observés ou antérieurement démontrés.

Ainsi la méthode scientifique consiste, en grande partie, dans la substitution d’hypothèses légitimes à des hypothèses sans fondement. Nous voyons avec plaisir M. Delbœuf avouer franchement qu’il fait des hypothèses, et que, sans hypothèses, il n’y a ni induction, ni expérience, ni science, même en mathématiques. L’aveu a d’autant plus de mérite qu’il n’est pas sans danger. Les critiques s’emparent volontiers d’une confession de ce genre et concluent qu’un philosophe avouant faire des hypothèses, en doit faire plus que ceux qui n’en conviennent point ; cependant c’est généralement le contraire. La méthode scientifique est obligée de demander à l’hypothèse, le secours que les spiritualistes empruntent à des idées à priori, à des vérités