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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

Weber. Partant de cette idée que l’excitation est une rupture d’équilibre et que la sensation est en proportion de la rupture, il pense que la sensation va en s’affaiblissant à mesure que l’équilibre tend à se rétablir et que la différence des forces p’ et p se rapproche de o. M. Delbœuf se donne beaucoup de peine pour montrer que, malgré cette complication, la loi de Weber est néanmoins vraie. Mais les faits ne se passent pas comme il le pense, et la difficulté à résoudre n’est pas précisément ce qu’il croit. Il est impossible d’admettre que la sensation soit en proportion de la différence entre l’objet extérieur et l’être sensible, et qu’elle décroisse à mesure que l’excitation complète son effet. Elle correspond au contraire à toute l’augmentation de mouvement que l’excitation peut produire dans l’être sensible ; et quand cette augmentation met un certain temps à se réaliser, la sensation, au lieu de se dégrader proportionnellement à la diminution de la différence, devient de plus en plus nette, de plus en plus forte, à moins que cette différence s’efface. Au moment de l’équilibre, elle est à son maximum et non pas nulle. Il peut d’autant moins, à propos de la loi de Weber, être question de sensations décroissantes, que dans cette loi il s’agit d’un minimum perceptible de sensation ; quel décroissement perceptible admettra-t-on dans un minimum perceptible ?

« C’est un fait bien connu, dit M. Delbœuf, que si, en plein jour, on entre dans une cave, on commence par ne rien voir ; puis, peu à peu on s’accoutume si bien à l’obscurité que tous les objets y deviennent distincts. De même sortez de la cave, et la lumière d’une simple bougie vous éblouira au premier instant, de manière à paralyser complètement votre œil, et peu à peu l’éblouissement disparaîtra. » On s’habitue de même peu à peu à un bain trop chaud. M. Delbœuf en conclut avec raison que l’équilibre met dans certains cas un temps plus ou moins long à s’établir ; mais cela ne prouve pas que la sensation aille en se dégradant ; elle suit pas à pas la diminution ou l’augmentation de mouvement. Quand la différence entre une sensation et celle qui suit est trop grande, le passage ne se fait qu’après un certain trouble qui peut même être douloureux, parce qu’il bouleverse brusquement l’ensemble des phénomènes qui étaient coordonnés avec la sensation première et qui ne pourraient coexister avec la nouvelle. Mais une fois la sensation produite et l’équilibre établi, la sensation dure aussi longtemps que l’excitation elle-même persiste. L’attention qui s’attache de préférence aux changements d’état, peut se détourner de la sensation qui devient en ce cas inaperçue, inconsciente ; mais elle n’en dure pas moins, et on la retrouve sans dégradation, dès que la volonté ramène l’attention vers elle.