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intelligence, ces faits ne sont "pas volontaires. Mais ils se répéteront avec plus de facilité que des actes nouveaux, s’ils ont laissé derrière eux des germes d’habitude ; c’est seulement quand leur idée aura été associée par la répétition à l’idée de leurs conditions (ou moyens) qu’ils pourront être voulus, c’est-à-dire causer la représentation et en dernier lieu la réalisation de ces conditions[1].

Cette manière de considérer la volonté a une très-grande importance pour la théorie de l’instinct. L’instinct n’étant qu’une habitude héréditaire, si l’on admet que toute habitude a la volonté pour origine, l’instinct devra provenir aussi de la volonté, et c’est ce que M. Delbœuf soutient en effet:« Si le poulet, à peine sorti de l’œuf, se précipite sur le grain qu’on lui jette, si le veau ou le chevreau, immédiatement après leur naissance, savent se conduire dans leur étable, si l’oiseau construit son nid avec un art admirable, n’en doutez pas, chacun des détails de ces actes a été autrefois voulu, exécuté avec conscience successivement et progressivement par leurs ancêtres. » Si cela était vrai, ce serait la source d’une objection sérieuse contre la théorie de l’évolution, en exigeant, à l’origine même du développement des instincts, l’intelligence et la volonté chez les êtres les plus simples et les moins élevés dans l’échelle animale. Beaucoup d’habitudes, fixées par sélection naturelle, n’ont jamais eu d’origine intellectuelle et n’ont par conséquent jamais été volontaires. Il est probable que les animaux se sont nourris et ont su choisir leur nourriture bien avant d’être capables de vouloir se nourrir et même d’avoir l’idée de la nourriture. Parmi les instincts, il en est qui ont passé par des habitudes volontaires, bien que ces actes volontaires aient dû avoir eux-mêmes une origine spontanée ; d’autres au contraire n’ont jamais passé, à aucun degré de l’évolution des espèces, par la volonté ; et c’est peut-être le plus grand nombre des instincts des animaux. Il en est de même des mouvements purement réflexes, en prenant cette expression dans le sens le plus étroit; les uns ont été antérieurement volontaires, d’autres ne l’ont jamais été.

Ce qui donne le plus souvent à des faits volontaires l’apparence de faits nouveaux, non-habituels, c’est leur complexité. La première fois que l’on met à exécution un projet, il semble que l’habitude n’y soit pour rien. Si cependant on analyse notre action, on trouve qu’elle se compose, en pareil cas, d’une combinaison nouvelle de faits dont chacun pris en lui-même est une habitude. Pour qu’un

  1. Nous avons déjà exposé ces idées avec plus de développements dans la Revue Philosophique, tome I, pp. 330 et suiv.