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L’HISTOIRE DU MATÉRIALISME[1]



L’École d’Athènes.

Trois grands noms, Socrate, Platon, Aristote, représentent la réaction contre le matérialisme et le sensualisme dans l’antiquité.

Le matérialisme avait considéré tous les phénomènes de la nature comme réductibles à des lois générales et nécessaires : les philosophes de l’école d’Athènes opposèrent à la Nécessité une Raison imaginée à la ressemblance de celle de l’homme, introduisirent dans le monde la lutte de ces deux principes, et brisèrent le fondement même de toute science de l’univers. Ainsi, dans le Timée, l’Intelligence (νοῦς) et la Nécessité (ἀνάγϰη) sont à la fois les causes divine et naturelle du monde : « Supérieure à la Nécessité, l’Intelligence lui persuada de diriger au bien la plupart des choses qui naissaient, et c’est ainsi, parce que la Nécessité se laissa persuader aux conseils de la sagesse, que l’univers fut d’abord formé[2]. » Le matérialisme concevait la conformité au but, c’est-à-dire la capacité purement mécanique d’adaptation qui permet aux êtres d’exister, comme la fleur est l’épanouissement de la nature, sans rien sacrifier de l’unité de son principe d’explication ; la réaction combattit avec fanatisme en faveur d’une téléologie qui dissimule mal un « plat anthropomorphisme. » Enfin le matérialisme avait surtout cultivé les mathématiques et la physique, seul domaine où l’homme pût acquérir des connaissances d’une valeur durable ; la réaction spiritualiste sacrifia l’étude de la nature à celle de la morale, et lorsque Aristote,

  1. Voir la Revue philosophique, du 1er  mai 1876.
  2. Tim. 48 Νοῦ δὲ ἀνάγϰης ἄρχοντος τῷ πείθειν αὐτὴν τῶν γιγνομένων τὰ πλεῖστα ἐπὶ τὸ βέλιστον ἄγειν, ταύτῃ ϰατὰ ταῦτά τε δι’ἀνάγϰης ἡττωμένης ὑπὸ πειθοῦς ἔμφρονος οὕτω ϰατ’ἀρχὰς ξυνίστατο τόδε τὸ πᾶν. Cf. 56 c. Le dualisme est encore plus expressément posé 68 e, où il est dit qu’il nous faut distinguer deux sortes de causes, l’une nécessaire, l’autre divine, δύ’αἰτίας εἴδη…, τὸ μὲν ἀναγϰαῖον, τὸ δὲ θεῖον..