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sciences naturelles sont nées une seconde fois ; à Alexandrie elles vont être étendues et approfondies par les plus rares génies qui aient paru chez aucun peuple. Toutefois la science de la nature commence à se séparer de la philosophie. Si l’antiquité n’a pas connu l’antagonisme qui a divisé ces deux sciences à notre époque, cependant les grands noms ne sont plus les mêmes dans les deux domaines. Les naturalistes se rattachent encore plus ou moins à une école philosophique ; les philosophes cessent d’être physiciens. Alors même qu’ils fondent leur doctrine, comme Épicure, sur les inductions scientifiques d’un Démocrite, ils ne s’occupent point de physique. Affranchir l’âme des doutes et des soucis qui la rongent, des angoisses et des folles terreurs qui l’épouvantent, l’élever audessus des superstitions populaires, procurer au sage qui contemple l’univers la sérénité et la paix bienheureuse, voilà l’unique but de cette philosophie morale, purement éthique, et qui au fond a tant d’affinité avec le quiétisme et l’ascétisme des religions bouddhique et chrétienne.

Certes, la philosophie d’Épicure est une résurrection du matérialisme véritable, j’entends de la philosophie de Leucippe et de Démocrite, de la conception purement mécanique du monde. On sait que, s’il ne fut pas tout à fait autodidacte, Épicure ne s’attacha à aucune des écoles contemporaines, et fit de Démocrite et d’Aristippe sa principale étude. Thèbes était détruite, Démosthène banni, on criait dans les rues d’Athènes, si j’ose dire, les bulletins de victoire d’Alexandre. Après avoir enseigné quelque temps dans les villes ioniennes, à Colophon, à Mitylène, à Lampsaque, Épicure revint à Athènes, acheta un jardin et y vécut au milieu de ses disciples d’une existence simple et modeste, tout à la méditation et aux doux soins de l’amitié. Il n’y a point d’exemple dans toute l’antiquité d’une vie aussi pure et aussi innocente. La fin vers laquelle nous devons tendre pour échapper à l’inquiétude et à douleur, la paix de l’âme, ce n’est pas le plaisir, la jouissance fugitive et vaine, les voluptés des sens, comme l’entendait Aristippe, qui peuvent nous la procurer. Les plaisirs de l’esprit, enseigne Épicure, valent mieux que ceux du corps, car l’âme ne jouit pas seulement dans le présent ; le passé et l’avenir lui font aussi goûter des joies sereines et élevées. Je crois avec Lange que, par l’importance capitale qu’il attribue à la vertu dans le bonheur, Épicure n’était pas très-éloigné de ses grands adversaires, Zénon et Chrysippe. Il faisait découler toutes les vertus de la sagesse ; on ne pouvait être heureux sans être juste et sage, mais qui était juste et sage ne pouvait être malheureux.

Ces doctes loisirs, ce détachement du monde, des devoirs et des