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après Hobbes, avait établie sur l’absence d’idées innées et sur les observations des voyageurs dans les différentes parties du monde. Le bon sens de Voltaire se révoltait à l’idée d’admettre que ce pouvait être une bonne action, selon les latitudes, de pardonner à son ennemi ou de le manger. Cela dérangeait la belle ordonnance des choses qu’il rêvait dans l’univers et contrariait son amour de la symétrie. Il s’en tenait donc à la doctrine aussi simple que superficielle de la distinction absolue du bien et du mal, en quelque lieu et en quelque temps que ce soit. Avec Rousseau, avec tous ceux qui surtout en France ont cultivé la philosophie oratoire. Voltaire invoque la conscience, et croit qu’en naissant chaque homme apporte avec soi un exemplaire tout relié de la loi morale.

Diderot a élevé jusqu’à l’enthousiasme cette foi en la vertu et en l’excellence de l’âme humaine. Avant la publication de l’Homme machine, Diderot n’était rien moins que matérialiste ; la société du baron d’Holbach, les écrits de Maupertuis, de Robinet, de La Mettrie, ont eu plus d’influence sur lui à cet égard qu’il n’en a exercée sur le matérialisme de son siècle. S’il n’avait rédigé des parties considérables du Système de la nature, on pourrait, sans inconvénient, ne pas même prononcer son nom dans cette histoire. À l’époque où il commença l’Encyclopédie, Diderot n’était rien encore de ce qu’on veut qu’il soit devenu. La Mettrie avait composé son Histoire naturelle de l’âme, qu’il en était encore au point de vue de Shaftesbury, d’accord en cela avec la plupart des philosophes et des libres penseurs français, qui, dans leur lutte contre la foi chrétienne, s’appuyaient volontiers sur les déistes anglais. En traduisant l’Essai sur le mérite et la vertu, Diderot tempérait l’audace de son auteur, et, dans les remarques, atténuait la force des propositions malsonnantes. Il croyait alors à l’existence d’un ordre providentiel dans la nature et malmenait les athées. Dans ses Pensées philosophiques (un an plus tard), il estime, en se rattachant à la téléologie anglaise dérivée des Principes de Newton, que les progrès des sciences de la nature ont porté le plus rude coup à l’athéisme et au matérialisme. Où la toute-puissance, l’industrie infinie du créateur se montre-t-elle avec plus d’éclat que sous le champ du microscope ! L’aile d’un papillon, l’œil d’une mouche, il n’en fallait pas plus pour écraser un athée.

Je ne puis douter que Diderot, avec le tour d’esprit et le genre d’humeur qu’on lui connaît, ne fût de très-bonne foi en parlant ainsi. Jamais on ne réussira, quelque peine qu’on se donne, à tirer un athée et un matérialiste de cet artiste enthousiaste, de ce poëte panthéiste, de cet esprit indécis et timide dans les choses de la pensée pure, et