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la dédicace que La Mettrie lui avait faite de l’Homme machine et contre une brochure où le fantasque Malouin, se piquant au jeu, osait se donner pour l’ami, pour le disciple, pour le compagnon des parties fines du vieux et respectable professeur ! La vérité est que La Mettrie n’avait jamais vu Haller et qu’il n’était jamais allé à Gœttingue. Maupertuis en convient, car son ami le lui avait dit cent fois. Pourquoi donc dédier un livre tel que l’Homme machine à un savant dont les principes religieux étaient bien connus ? Pourquoi ? Maupertuis le dit à Haller : « Il ne vous avait mis dans ses ouvrages que parce que vous étiez célèbre, et que les esprits qui coulaient au hasard dans son cerveau avaient rencontré les syllabes de votre nom. » J’ai rappelé ce trait, où il y a plus de gaieté que de malice, d’abord parce que c’est le seul qu’on pourrait être tenté de blâmer dans toute la vie de La Mettrie, ensuite parce que cette piquante facétie nous fait en quelque sorte toucher au vif le point vulnérable de cet esprit où presque rien ne manquait, pas même le grain de folie sans lequel on ne saurait passer grand homme.

Lange a pris le meilleur parti pour rendre à La Mettrie ce qui est à La Mettrie : il a établi par la chronologie que La Mettrie n’est pas plus un disciple de Condillac que du baron d’Holbach, par cette raison bien simple que l’Histoire naturelle de l’âme est de 1745, et que le premier ouvrage du célèbre abbé, l’Essai sur l’origine des connaissances humaine, parut en 1749. Il faut donc espérer qu’on cessera de répéter que le matérialisme français est sorti du sensualisme de Condillac. Quant à l’autre erreur, elle tombe d’elle-même,’ dès qu’on connaît, sans parler des dates, l’opinion des encyclopédistes sur La Mettrie. Si l’on excepte Montesquieu et Voltaire, La Mettrie précède dans le temps tous les philosophes du xviiie siècle, Rousseau, Diderot, Helvétius, Condillac, d’Alembert, d’Holbach, qui l’ont plus ou moins copié. Buffon commença en 1749 la publication de sa grande Histoire naturelle (les trois premiers volumes), mais il ne développa que dans le tome quatrième l’idée de l’unité de plan manifestée dans la diversité des organismes, pensée que l’on retrouve bien dans le Système de la nature (1751) de Maupertuis et dans les Pensées (1754) de Diderot sur l’interprétation de la nature, mais qui était déjà très-clairement exprimée dans l’Homme plante (1748), ouvrage que La Mettrie écrivit à l’occasion du livre de Linné, Classes plantarum. La Mettrie cite Linné ; mais lui, aucun de ceux qui ont écrit après l’avoir lu ne l’a cité. C’est ainsi que Lange a commencé par établir solidement la primauté de La Mettrie dans l’histoire de la pensée au dernier siècle.

Lange s’est visiblement complu à étudier l’homme chez le philo-