Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
naville. — hypothèse dans la science

verser le ciel, s’il regarde dans la direction convenable. On ne lui démontre pas le phénomène, on le lui montre. Mais l’explication du phénomène, la détermination de la nature du bolide ne pourra être que le résultat d’une démonstration expérimentale compliquée. J’admets sans démonstration que deux lignes parallèles sont partout également distantes, parce que c’est la conception même de leur parallélisme ; mais je ne peux pas voir immédiatement que par trois points donnés, non en ligne droite, on peut toujours faire passer une circonférence ; c’est un théorème qui a besoin de vérification, et qu’un géomètre quelconque a dû supposer avant de le démontrer.

L’hypothèse est donc le facteur essentiel des sciences. « Une idée anticipée ou une hypothèse, dit M. Claude Bernard, est le point de départ de tout raisonnement expérimental. Sans cela on ne saurait faire aucune investigation ni s’instruire ; on ne pourrait qu’entasser des observations stériles[1]. » L’affirmation est vraie pour toutes les sciences sans exception, y compris la philosophie qui n’est que l’expression la plus haute et la plus générale de l’esprit scientifique. C’est à tort que l’on considère souvent la philosophie comme vouée à la méthode purement à priori, ce qui la séparerait des sciences expérimentales, et la placerait en opposition avec elles. La philosophie ne doit point avoir d’autre méthode que celle de toutes les sciences. Elle se caractérise, non par des procédés spéciaux de recherche ou de démonstration, mais par la nature de son objet. Elle pose pour le monde dans sa totalité les questions que les sciences particulières posent pour des classes d’êtres spéciales.

Toute vérité est, sous sa forme première, une hypothèse qui n’a de valeur que lorsqu’elle est vérifiée, et qui, lorsqu’elle est vérifiée, devient soit un théorème, soit une loi, soit enfin la détermination d’une classe, d’une cause ou d’un but. L’embryogénie de la science doit donc établir qu’on n’a fait ni ne fera jamais aucune découverte autrement que par une supposition. On peut bien dire, en opposant à une théorie solidement établie une simple conjecture qui n’est ni développée ni vérifiée : « Ce n’est qu’une hypothèse ; » mais dans le même sens où l’on dira d’une semence par opposition au végétal développé : « Ce n’est qu’une graine. » L’esprit humain produit une foule de conjectures vaines, de même que les arbres de nos forêts produisent souvent un grand nombre de graines stériles ; mais l’hypothèse est la semence de toute vérité, et la rejeter par crainte des abus c’est ne plus vouloir de semences parce qu’il existe des graines infécondes. La science n’a jamais fait un pas qu’au moyen de la méthode vraie, c’est-à-dire par l’emploi de suppositions justes ;

  1. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, page 57.