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naville. — hypothèse dans la science

nir sur ce point important. On a commis une seconde erreur en méconnaissant la ligne de démarcation qui sépare les vérifications expérimentales et les vérifications rationnelles. On est arrivé ainsi à la conception d’une science purement à priori, partant des données immédiates de la raison, et procédant uniquement par voie de déduction logique. Descartes veut expliquer tous les phénomènes du monde matériel sans recourir à autre chose qu’aux semences de vérités qui sont naturellement dans nos âmes[1]. Cette erreur de méthode mêle de nombreuses erreurs aux vérités que son génie a découvertes. Hegel fait un pas de plus. Au-dessus des procédés des géomètres, il contemple l’élément purement logique de la pensée, et conçoit l’entreprise grandiose et chimérique d’expliquer, non-seulement la nature, mais l’humanité et son histoire par la combinaison des éléments abstraits de l’intelligence. Cette tentative caractérise le rationalisme philosophique, qui prétend construire la science universelle par la méthode mathématique, et qui se trompe sur la nature de cette méthode. Dès lors il n’y a rien à supposer ; bien plus, il n’y a rien à observer, hors des données de la raison pure. Le savant ne sait pas seulement ce qui est, il sait ce qui peut être ; il se constitue, par le simple développement de sa pensée, juge souverain du possible et du réel.

Les prétentions du rationalisme ne résistent pas à l’examen. Il est facile de constater que les savants de cette école, lorsqu’ils construisent quelque chose de vrai, sont les victimes d’une illusion. Ils ne construisent logiquement que les données qu’ils ont reçues des sciences expérimentales. Hegel a fait une physique à priori comme Descartes. La raison de ces deux hommes était la même ; pourquoi trouve-t-on chez Hegel des notions de chimie que Descartes ne possédait pas ? Évidemment parce que ces notions avaient été découvertes autrement que par les procédés de la raison pure. Entre la chimie de Descartes et celle de Hegel, ce qui est intervenu, ce n’est pas un développement de la pensée à priori, ce sont les travaux de Boyle et de Lavoisier. Lorsque le rationalisme ne construit pas illusoirement des théories auxquelles on est parvenu par une autre méthode, il élève des constructions imaginaires. La raison ne renfermant pas les principes de la réalité, on construit des systèmes sur la base d’affirmations arbitraires, que l’on prend à tort pour les données immédiates de l’intelligence.

En face du rationalisme, s’est toujours posée une méthode contraire, dont Bacon est, dans les temps modernes, le représentant le plus connu. La pensée de Bacon était dirigée principalement vers les

  1. Discours de la méthode. Partie iv.