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« La matière de la psychologie, dit-il, c’est la perception interne, le commerce avec les autres hommes de tous les degrés de culture, les observations de l’éducateur et de l’homme d’État, les récits des voyageurs, des historiens, des poètes et des moralistes ; les expériences fournies par les fous, par les malades, et les animaux[1] ». Ailleurs, il fait remarquer que « l’homme des psychologues, c’est l’homme sociable et cultivé (gebildete) qui représente l’histoire de son espèce parvenue à une grande hauteur » ; mais que les faits actuels ne peuvent pas nous dire ce qui est primitif, qu’il faut recourir à l’examen du sauvage et de l’enfant[2].

Aujourd’hui, ces vues peuvent paraître communes ; il n’en était pas de même en Allemagne, il y a soixante ans : alors que la métaphysique régnait sans contestation, elles ont dû paraître une originalité voisine du paradoxe. J’incline à croire pourtant qu’elles avaient été suggérées à Herbart moins par ses propres réflexions que par la lecture de Locke.

Le goût du fait réel en psychologie a fait de Herbart l’ennemi le plus acharné de l’hypothèse des facultés de l’âme. Il y revient sans cesse pour la combattre. La psychologie a reculé depuis Leibniz et Locke, grâce à Wolf et à Kant qui sont des abstracteurs (Absonderer) de facultés de l’âme. Les deux premiers suivaient une meilleure voie en s’abstenant de ces hypothèses ; car « dès qu’à la conception naturelle de ce qui se passe en nous, on ajoute l’hypothèse de facultés que nous avons, la psychologie se change se mythologie ». La psychologie empirique, dit-il ailleurs, nous parle de trois facultés : penser, sentir, désirer ; à ces trois facultés, elle subordonne comme à des genres d’autres facultés (mémoire, imagination, raison, etc.) ; puis à chaque espèce, elle subordonne des variétés (mémoire des lieux, des mots, etc. ; raison théorique et raison pratique, etc.). Mais le réel, le fait, est individuel ; ce n’est pas un genre ni une espèce. Le général ne peut sortir de l’individuel que par une abstraction en règle ; et comment tenter cette abstraction quand l’individuel est mal connu, insuffisamment établi[3] ?

À ce sentiment de la réalité qui se trouve chez Herbart, quoiqu’il cite bien rarement des faits individuels, il faut ajouter une intuition très-nette de la méthode scientifique. Il ne croit pas, comme c’était alors la mode en Allemagne, que l’on puisse construire la psychologie à l’aide de pures déductions et d’arguties logiques. Il se propose d’appliquer à la psychologie « quelque chose qui ressemble aux

  1. Lehrhuch zur Psychologie. Introduction.
  2. Ibid., 2e  partie, ch. I..
  3. Psychologie als Wissenschaft. Introduction.