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ANALYSESgœring. — Espace et Matière.

« Il n’y a pas d’autre science pour nous que la mécanique, quelque expression imparfaite qu’elle soit de la véritable science ; et la pensée n’a qu’une forme vraiment scientifique, celle de la physique mathématique. Il n’est pas de pire illusion que de croire expliquer la finalité de la nature organique, en recourant à une intelligence immatérielle, conçue à l’image de la nôtre et agissant comme nous suivant des fins. » Qu’on se la représente comme le démiurge de Platon, comme la monade suprême de Leibniz, ou comme l’âme inconsciente et pourtant souverainement intelligente de l’univers, on tente l’impossible et l’on s’égare dans les brouillards de la spéculation, aussitôt qu’on abandonne le terrain solide de la nécessité mécanique. Et qu’y a-t-on gagné ? Si la finalité de la nature trouble le repos du moniste, est-ce que le dualiste est sur un lit de roses, lorsqu’il pense aux phénomènes qui contredisent de temps en temps cette finalité ? Soutiendra-t-on enfin que le dualisme de la téléologie et du mécanisme est plus favorable que le monisme mécaniste à la solution des problèmes moraux ? Mais on n’a qu’à se rappeler les contradictions, les incertitudes, les obscurités sans nombre de la théodicée de Leibniz, pour acquérir la conviction du contraire.

C’est à la culture de la méthode expérimentale, aux qualités de sévérité, de patience, de modération qu’elle développe, qu’il appartient de guérir définitivement l’esprit humain des illusions et de la confiance excessive qui égaraient son enfance et sa jeunesse, de l’élever à cette virile sagesse, qui sait s’arrêter sans découragement devant les mystères insolubles. L’étude des mathématiques dispose plutôt l’esprit à trop attendre de lui-même : les plus grands mathématiciens du xviie siècle. Descartes et Leibniz, n’étaient-ils pas aussi les plus téméraires des métaphysiciens ?

Ayant désormais conscience de ses limites, l’esprit humain renonce à pénétrer l’essence et l’origine de la matière et de la force, comme, celles de la pensée. En présence des abîmes mystérieux que la nature physique et la nature morale tiennent ouverts à ses côtés, il n’est tenté d’imiter ni le désespoir d’Empédocle, ni celui de Faust. Au lieu de céder au sentiment décourageant de son impuissance incurable, il demande au travail la consolation et la force, convaincu qu’il peut servir efficacement, même par sa science relative, le bonheur et la dignité de l’espèce humaine.


Wilhelm Gœring. — Raum und Stoff, Ideen zu einer kritik der Sinne. (Espace et Matière, Idées sur une Critique des sens). 1 vol. 8º Berlin, 1876.

Le docteur Wilhelm Gœring (qu’il ne faut pas confondre avec Karl Gœring, auteur d’un nouveau Système de philosophie critique), essaie,