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de laquelle vient se former d’ordinaire la perception : c’est le phénomène de l’hallucination. M. Michaut aurait dû voir mieux que personne l’identité de la perception et de l’image, lui qui établit par des preuves convaincantes (et c’est la meilleure partie de son livre) la véritable nature et la conformité de l’hallucination et de l’illusion : dans la première l’image est la cause de la sensation au lieu d’en être l’effet ; dans la seconde, une image opiniâtre déforme la sensation présente et en modifie la valeur intellectuelle.

L’auteur étudie ensuite l’association des images, leur conservation, leur renaissance, leur reconnaissance par la mémoire, leur déformation par l’oubli et la composition d’images nouvelles à la suite de cette déformation. Sur tous ces points, M. Michaut réunit méthodiquement les résultats les plus sérieux de la psychologie moderne, en y faisant quelques corrections ingénieuses. Ce résumé excellent dispense d’ouvrir beaucoup de gros volumes.

Jusqu’ici donc le livre est un traité de la production et de la combinaison des images. M. Michaut aurait pu s’arrêter là en laissant à l’imagination son sens étymologique. Mais subitement, et sans prévenir le lecteur, il passe à l’étude de la faculté d’invention qui porte le même nom, de ce pouvoir auquel nous devons la construction des hypothèses scientifiques et la création des œuvres d’art. Il faudrait pourtant en finir avec cette doctrine qui ne voit dans l’imagination créatrice que le prolongement du pouvoir d’unir des images. L’erreur, ici comme toujours, n’est que l’exagération d’une pensée juste : il est bien vrai que nos créations sont dues à l’agencement dans un ordre nouveau d’idées antérieures, mais il n’est pas vrai que ces idées soient toutes des images. Le rôle de l’image est bien petit dans la conception d’un caractère comme Tartuffe ou dans la solution d’un problème d’algèbre ; elle contribue par une part minime à la beauté d’une oraison funèbre de Bossuet, d’une pensée de Pascal, ou à la beauté morale d’un Saint Vincent de Paul, d’un Spinoza, etc. Que vient donc faire un chapitre sur le sentiment du beau, sur le rapport de la beauté des choses avec leur valeur expressive à la suite d’un traité sur la nature des Images ? M. Michaut aurait d’autant mieux fait de s’en tenir à la première partie de son ouvrage, que la seconde partie est à peine effleurée et que cette théorie incomplète de la création artistique ne s’impose à l’attention des lecteurs par aucune idée vraiment originale.

A. Ephraim.