Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
revue philosophique

phrase. C’est au critique à distinguer quelles sont les limites que, malgré tout, cette pensée ne dépasse pas, soit dans le sens de la pure intuition, soit du côté de l’expérience. Ici encore on a une sorte de moyenne à chercher, et, en cherchant bien, on la trouve.

Lorsque Bacon dirige fortement ses regards sur la faculté de l’entendement qui a pour objet les principes, il la place sans marchander au faîte de la connaissance. « …Toute philosophie naturelle, solide et féconde, se sert d’une échelle double, savoir, l’échelle ascendante et l’échelle descendante : l’une qui monte de l’expérience aux axiomes, l’autre qui descend des axiomes à de nouvelles découvertes[1] » Et plus loin : « Les sciences sont comme autant de pyramides dont l’histoire et l’expérience sont la base, et par conséquent la base de la philosophie naturelle est l’histoire naturelle ; l’étage le plus voisin de la base est la physique, et le plus voisin du sommet la métaphysique[2]. » — Au-dessus, il n’y a plus que les suprêmes conceptions de Dieu, et Bacon doute que l’intelligence de l’homme y puisse atteindre ; mais elle atteint les axiomes, et les axiomes, s’ils ne sont pas au sommet de la « pyramide, » résident indubitablement tout en haut de « l’échelle double ».

Ces axiomes sont généraux car ils enveloppent les autres principes et possèdent, — on s’en souvient, — la vertu de rendre plus léger à l’esprit le fardeau du savoir en en réduisant par degrés les éléments à l’unité. Ils sont même très-généraux, puisqu’ils sont l’unification des autres axiomes et embrassent ce qui convient à l’universalité des sujets individuels : « Illud vero optime præstatur, axiomata scientiarum in magis generalia, et quæ omni materia rerum individuarum competant, colligendo et uniendo[3]. » À côté de ces axiomes et à la même hauteur, on doit ranger une autre sorte de produits de la philosophie première qui sont moins nouveaux que ne se le figure Bacon. Il les appelle d’un nom assez mal choisi : les conditions adventices des êtres, et ajoute qu’on peut les nommer transcendantes, sans s’apercevoir que ces deux expressions se contredisent. En réalité ce sont les modes les plus généraux de l’existence, quelque chose de fort semblable aux catégories d’Aristote. En effet, voici les exemples que Bacon en donne : le peu et le beaucoup ; le semblable et le divers ; le possible et l’impossible ; et même l’être et le non-être : « etiam de ente et de non ente[4]. » D’après lui,

  1. De Augmentis, lib. III, chap. III, t. I, p. 169.
  2. De Augm., lib. III, cap. IV, t. I, p. 190.
  3. Ibid.
  4. De Augmentis, lib. III, cap. I, t. I, p. 165. Abecedarium naturæ, t. II, p. 288.