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choses elles-mêmes. Telle est essentiellement l’œuvre et le travail de la raison[1]. »

Après ces explications aussi claires qu’abondantes, aucune équivoque n’est possible, aucune méprise n’est excusable. On sait quel est le rôle que Bacon attribue à l’expérience et quelle puissance il lui refuse. Le sens des phrases dont il se servira ou dont il s’est déjà servi en parlant de cette faculté de l’esprit est fixé. Lorsqu’il dit que tout doit être pris dans les choses mêmes ; ou bien qu’il faut tirer les notions des impressions sensibles ; ou bien encore, que les axiomes sortent des sens et des êtres particuliers au moyen d’une sorte d’excitation, quiconque veut bien le comprendre le comprend bien.

Et quand on a compris, on avoue que Bacon a voulu renouveler la métaphysique générale ou philosophie première, qu’il a prise tantôt pour une seule science, tantôt pour deux sciences distinctes : en quoi il ne s’est pas toujours entendu avec lui-même. On reconnaît, en second lieu, qu’il a tenté de concilier l’expérience et la raison, et que, loin de sacrifier l’une à l’autre, il s’est appliqué avec un soin scrupuleux à faire à chacune sa part ; en quoi il s’est montré jaloux de se bien séparer des expérimentalistes absolus. Il n’est pas le chef de ces derniers : leurs excès plus ou moins graves, plus ou moins récents, s’ils sont justifiables, ce que nous n’examinerons point ici, ne le sont ni par les déclarations habituelles de Bacon, ni par son exemple.

Maintenant, quelle est la valeur philosophique de ces belles professions de foi et de ces recommandations expresses au sujet de la métaphysique ? À quel titre parle ici notre réformateur ? Est-ce au nom d’une connaissance plus approfondie et d’une analyse plus complète des facultés humaines ? Mais sa psychologie, quand il en a une, n’est qu’un programme écourté et superficiel. On a dit à sa décharge, et en employant son langage, qu’il n’est qu’un trompette, qu’il ne va pas au combat, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas proposé d’entrer dans le vif des questions relatives à la nature et à la portée de nos puissances intellectuelles. Ce serait à merveille si effectivement il se contentait d’être un héraut et de publier des ordres venus de plus haut que lui, ou un hermès et de montrer sans autre prétention la route à suivre. Or ce rôle modeste, il ne s’y tient jamais, parce que rien au monde n’est plus opposé à son caractère. Nous ne lui reprochons pas de n’avoir point accompli une de ces décompositions savantes de la pensée desquelles personne encore n’était

  1. Augm., lib. II, cap. I, t. I, p. 140.