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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

bien remarquable, ce dont certains baconiens ne se doutent assurément pas, c’est que Bacon indique ici avec une grande netteté la route à suivre pour arriver à connaître l’essence des anges et des esprits. Cette méthode n’est pas l’étude de la Bible ; c’est l’étude préalable de l’âme humaine avec laquelle les anges et les esprits ont, dit-il, de l’affinité : « ad quam etiam (naturam) ex affmitate quam habet cum anima humana, aditus magna ex parte est patefactus. » Et cette méthode, il la recommande une seconde fois quelques lignes plus loin en se servant d’une comparaison : on peut chercher quelle est la nature des anges en regardant dans l’âme humaine, comme dans un miroir : « in anima humana, veluti in speculo[1]. » Je ne discuterai pas en ce moment cette façon de procéder que doit adopter, d’après Bacon, la théologie naturelle, quand elle vise à saisir l’essence des êtres spirituels supérieurs à l’homme : il me suffit de faire observer qu’elle se confond avec ce que l’on nomme, dans une école bien connue, l’induction métaphysique appuyée sur la connaissance de soi-même par le sens intime.

Dans le plan de l’Instauratio magna, après la science de Dieu ou théologie naturelle, vient la science de la nature ou philosophie naturelle. Bacon est généralement considéré comme le père de cette science philosophique de la nature, du moins dans les temps modernes. Tenons-le pour tel. Ce n’est pas sans motif, mais ce n’est pas non plus sans exagération que la plupart de ses historiens n’ont envisagé en lui que ce côté de lui-même. À l’exception de quelques esprits compréhensifs et impartiaux en tête desquels nous plaçons M. Ch. de Rémusat, on n’a pas remarqué que la métaphysique envahit et pénètre la physique de Bacon, tantôt à son insu, tantôt et le plus souvent avec sa permission. Et quoique ce fait n’ait point échappé au coup d’œil de M. Ch. de Rémusat, quoiqu’il se soit attaché à le faire ressortir, l’éminent écrivain, pour obéir aux nécessités de la composition, a quelque peu effacé ce trait saillant de la physionomie du réformateur. Répétons-le : au moment où la philosophie naturelle tente un effort évident pour se reconstituer, il importe qu’elle sache quelles conditions métaphysiques n’a pu s’empêcher de lui imposer celui qu’elle regarde comme l’ayant réorganisée.

Il faut ici un peu de patience pour n’être pas tout d’abord rebuté par l’abus des divisions et subdivisions. Bacon partage la science de la nature en recherche des causes et en production des effets, en

  1. De Augmentis, lib. III, c. II, t. I, p. 168.

    Voir aussi la p. 172 : « At inquisitionem de Deo uno, bono, angelis, et spiritibus, ad theologiam naturalem retulimus. »