Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
revue philosophique

change de ton. Épicure et Démocrite n’y reçoivent plus de louanges, loin de là. Bacon rappelle que tant qu’ils se bornèrent à expliquer la formation des corps par la rencontre des atomes, quelques esprits déliés purent les tolérer ; mais que lorsqu’ils donnèrent à l’ordre du monde la même explication, en se passant d’une intelligence divine, ils furent accueillis par un rire universel. — Ce texte aussi méritait d’être cité[1].

Pour ceux qui nous ont suivi avec quelque attention dans le travail auquel nous nous livrons, il doit être évident que c’est surtout dans son essai de réorganisation de la philosophie de la nature que Bacon se montre métaphysicien. C’est là qu’il introduit la métaphysique ou science des causes en termes explicites ; c’est là qu’il fait à cette science la plus large part ; c’est là enfin que, quoi qu’il en dise, il donne au mot de métaphysique sa signification la plus antique et même la plus aristotélique. Et tout cela, il l’exécute à son aise, non pas en homme qui s’oublie et qui commet une distraction, mais en philosophe qui suit sans le rompre, sinon quelquefois sans l’embrouiller, le fil de sa pensée. Il nous a paru que ce point n’avait pas encore été suffisamment aperçu et bien éclairci. Quelque surprise qu’en puisse causer la démonstration, nous croyons l’avoir fournie.

La surprise sera peut-être plus grande encore si j’ajoute que dans les paragraphes où il esquisse le plan d’une nouvelle science de l’âme complétée d’une part, et, de l’autre, débarrassée d’une foule de vaines subtilités, Bacon est beaucoup moins métaphysicien que lorsqu’il dessine les contours de la philosophie des sciences naturelles. C’est pourtant tellement vrai que dans sa psychologie, s’il est permis de nommer ainsi l’ébauche qu’il a tracée de l’âme et de ses facultés, le mot de métaphysique n’est pas prononcé. Bien plus : à côté des phrases où il a l’air d’apprécier hautement l’importance de la science de l’âme, on en rencontre d’autres où la connaissance que nous pouvons acquérir de nous-mêmes, est enlevée à la philosophie comme trop difficile et renvoyée à la théologie.

Ainsi, il dit quelque part : « Passons à la doctrine de l’âme humaine : c’est de ses trésors que sont tirées les autres sciences. » Que les psychologues ne se hâtent pas de triompher de cet éloge. Bacon ne tarde pas, en effet, à diviser la science de l’âme en deux

  1. De Augmentis, lib. III, c. V, t. I, p. 194.

    « At Democrites et Epicurus, quum atomos suos prædicabant, eousque a subtilioribus nonnuUis tolerabantur ; verum, quum ex eorum fortuito concursu fabricam ipsam rerum absque mente coaluisse assererent, ab omnibus risu excepti sunt. »