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solide ; car rien ne produit plus irrésistiblement le sentiment, c’est-à-dire la conscience, que l’état inassouvi de la volonté.

Comme Bahnsen sait parfaitement bien que toute existence basée sur la volonté a « pour corrélatif inévitable une condition malheureuse, » toutes ses observations relatives à un contenu éventuel heureux de cette existence se rapportent à des cas hypothétiques, placés en dehors du domaine de la possibilité et n’atteignent pas mon assertion qu’avec la nature donnée de l’absolu, dans tout monde possible, l’existence doit nécessairement être un malheur ; je ne dis pas « l’existence nue et vide, » mais l’existence remplie de n’importe quelle manière. Il est en désaccord avec lui-même, quand il exprime l’opinion que l’absolu dans sa sagesse et sa puissance universelles aurait pu, s’il l’avait bien voulu, trouver les voies et moyens qui auraient évité les tourments de l’individuation. Comment une conscience représentative ayant un certain contenu aurait-elle été possible sans individuation ? comment pourrait-on imaginer un affranchissement du tourment du vouloir, sans une conscience représentative, et comment un monde d’individus conscients serait-il possible, sans que ceux-ci eussent leur part de la condition malheureuse inhérente à tout vouloir ?

C’est parce que la contradiction intérieure du principe illogique s’étend à la réalité tout entière, que nous reconnaissons aussi empiriquement l’illogique de l’existence sur le moindre petit point. Néanmoins la considération à priori que toute existence, de quelque manière qu’elle soit remplie, est nécessairement illogique comme manifestation de la volonté, nous enseigne que nous n’avons nullement besoin de chercher l’illogique empirique de l’existence, non-seulement dans sa forme, mais encore dans son contenu (qui n'a aucun rapport avec ce fait). Bahnsen s’est engagé à prouver que les choses existantes ont encore quelque chose d’illogique dans leur contenu, en dehors de la déraison de l’existence prise en elle-même que j’admets également ; mais cette preuve, il nous la doit encore. Il ne pourra donc pas s’étonner que je reste, jusqu’au moment où il l’aura fournie, attaché à ma distinction qu’il a critiquée et d’après laquelle le contenu (das Was) du monde est parfait, et son existence (dass) ne devait pas se produire.

Mais alors « le but » ne peut plus être un but positif (puisqu’il tendrait toujours au rétablissement d’un certain contenu du monde) ; il faut, au contraire, qu’il soit négatif et dirigé vers la négation de l’existence elle-même. Qu’un tel but est sans valeur, si on prend pour mesure le bonheur positif, qu’il ne conduit à rien, si on prend pour mesure la finalité positive, ce sont là des observations tautolo-