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g. compayré. — les principes de l'éducation.

dance privilégiée. Il consiste à être le plus possible, à vivre complètement. Nous préparer à vivre une vie complète, telle est la fonction de l’éducation. Mais une vie complète, chez un être complexe, et dans une nature mêlée, suppose un certain ordre de subordination et de dépendance entre les diverses catégories d’activité : cet ordre, voici comment M. Spencer propose de l’établir, selon une progression descendante.

1° Au premier rang se présente l’activité qui a directement pour objet la conservation personnelle. Il ne servirait de rien d’être un grand lettré, ni un citoyen et un patriote, ni un père dévoué, ou pour mieux dire tout cela serait impossible, si l’on ne savait pas d’abord garantir sa sûreté et sa vie. 2° Puis vient la série d’actions qui tend indirectement au même but de bien-être physique par l’acquisition, par la production des biens matériels nécessaires à l’existence, c’est-à-dire l’industrie, les diverses professions. 3° En troisième lieu, l’homme emploie ses forces au service de sa famille : il a des enfants à nourrir et à élever. 4° La vie sociale et politique est le quatrième objet de ses efforts : elle suppose comme condition préalable l’accomplissement des devoirs de famille, comme la famille suppose elle-même le développement normal de la vie individuelle. 5° Enfin l’existence humaine s’achève et se couronne, pour ainsi dire, dans l’exercice des activités qu’on pourrait d’un seul mot appeler esthétiques, et qui, mettant à profit les loisirs laissés par les soucis et les affaires, se satisfont par la culture des lettres et des arts.

Que pourrait-on reprendre dans ce tableau exact et méthodique des divers éléments d’une existence complète, normale, et par conséquent heureuse ? Est-il besoin de remarquer que le bonheur ainsi compris ne diffère pas de ce que nous appelons la vertu ? L’idéal de la nature humaine peut-il être cherché ailleurs que dans une préparation successive, dans une adaptation de plus en plus parfaite aux fonctions que réclame l’ensemble de nos activités. Aucun des cinq éléments essentiels ne peut être impunément omis. Les premiers, on ne saurait les négliger sans compromettre la réalité matérielle de la vie ; les derniers, sans en amoindrir la dignité morale. Ils sont en quelque sorte solidaires les uns des autres, en ce sens que les actions inférieures, égoïstes, sont les conditions qui rendent possibles les autres parties du rôle humain ; et que les activités supérieures, désintéressées, donnant seules à l’existence son prix et sa noblesse, deviennent comme la justification de la peine que nous prenons pour exister et pour satisfaire aux nécessités matérielles.