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profonde influence sur l’éducation, c’est ce que tout le monde accordera sans difficulté. Il est évident, en effet, que les méthodes pédagogiques doivent s’astreindre à suivre la nature, et à passer par les mêmes routes qu’elle. Selon l’expression de M. Spencer, l’éducation n’est que la copie objective du développement subjectif de l’esprit.

Mais il ne suffit pas de reconnaître d’une façon générale le caractère progressif, l’évolution constante et insensible de l’esprit, et de conclure comme Rousseau, comme Pestalozzi, comme Mme Necker de Saussure, à la nécessité d’une éducation progressive elle aussi, qui accompagne la vie dans tous ses progrès et qui se plie à tous ses mouvements. Il importe surtout de fixer les lois de cette évolution, afin de proportionner exactement les méthodes et les procédés d’enseignement aux changements qui se réalisent dans l’âme avec le progrès des années. Sans prétendre épuiser le sujet, M. Spencer a essayé de faire quelques pas dans cette voie, et de déterminer quelques vérités psychologiques qui soient de nature à être immédiatement converties en maximes pratiques d’éducation.

Le premier caractère du développement intellectuel c’est que l’esprit passe du simple au complexe, ou encore, selon des expressions chères à M. Spencer, de l’homogène à l’hétérogène. L’histoire des perceptions sensibles met hors de doute cette vérité, qui sans doute n’est point nouvelle, mais dont on n’a peut-être pas fait sortir, relativement à l’éducation, toutes les conséquences qu’elle renfermait. Dans l’étude du dessin, par exemple, pourquoi demander d’abord à l’enfant la représentation d’une sensation complexe comme la forme et la figure des objets ? Pourquoi ne pas l’exercer d’abord au coloris, à l’emploi de la couleur, en faisant appel à la sensation la plus simple de la vue ?

Une seconde loi de l’évolution mentale est que le progrès intellectuel va de l’indéfini au défini. En d’autres termes, les premières perceptions sont vagues, les premières pensées sont indécises et confuses. Il faut donc se contenter d’abord, dans l’éducation de l’enfant, de notions incomplètes, à condition qu’on s’efforce de les rendre graduellement plus claires et plus nettes. Exiger de l’esprit un effort qui dû premier coup le mène à la pure clarté d’une conception absolue des choses, c’est méconnaître les degrés insensibles du développement réel, c’est brusquer la nature, c’est supprimer les transitions nécessaires qui acheminent l’esprit du demi-jour à la lumière complète. Rousseau violait cette loi, quand il exigeait que son Émile, sans préparation, acceptât d’emblée la révélation sans nuage du Dieu de la raison. Fénelon, plus sage ou mieux inspiré, recommandait au contraire que, pour habituer l’esprit à l’idée de la divinité, on la