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g. compayré. — les principes de l'éducation.

On a souvent parlé de la nécessité de rendre l’instruction agréable, et de bannir des classes l’ascétisme ; on est allé même jusqu’à l’utopie dans cette voie, et M. Victor Considérant a pu composer le livre qui a pour titre l’Éducation attrayante. Mais, sans croire ce qui serait chimérique et dangereux, qu’on doive jamais exclure de l’éducation ce qu’il y a de nécessairement austère et laborieux dans l’œuvre du perfectionnement individuel, il est certain qu’il y a tout profit à rendre l’instruction agréable et aisée. M. Spencer n’est pas, tant s’en faut, le premier qui l’ait désiré, mais il a expliqué mieux que personne pourquoi il devait en être ainsi. C’est que l’esprit ne s’approprie bien que les études qui lui donnent une excitation agréable. Toutes les actions normales, tous les efforts qui correspondent à une énergie naturelle, qui se placent au moment opportun, qui sont enfin proportionnées aux forces de l’élève, sont par cela même agréables. Règle excellente pour juger de la valeur d’une méthode, et de l’à-propos d’une étude ! Lorsqu’un goût prononcé se manifeste pour telle ou telle espèce d’instruction, c’est que l’esprit est prêt à se l’assimiler. Le dégoût, au contraire, est le signe infaillible qu’on a présenté cette étude trop tôt à une intelligence qui n’est pas mûre, ou tout au moins qu’on la lui a présentée maladroitement et sous des formes mauvaises.

Ce qui est à nos yeux un grand signe de la vérité des lois pédagogiques que nous venons d’exposer, c’est qu’elles sont conformes aux tendances générales des grands réformateurs modernes de l’éducation. C’est ainsi que les idées de M. Spencer se rapprochent beaucoup de celles que Pestalozzi avait appliquées à Stein. Le succès qu’il y obtenait, M. Spencer le fait remarquer lui-même, dépendait de deux choses : d’abord de l’attention qu’il apportait à déterminer de quel genre d’instruction ses enfants avaient besoin ; ensuite des soins qu’il mettait à associer les connaissances nouvelles à celles qu’ils possédaient déjà. Sans vouloir multiplier les rapprochements, il est encore assez intéressant de constater que sur beaucoup de points les théories de notre auteur coïncident avec les pratiques suivies par James Mill dans l’éducation de son fils. Donnant un exemple qui devrait être suivi, et dont la généralisation fournirait de précieux matériaux à la science de l’homme, Stuart Mill raconte longuement dans ses Mémoires l’histoire de ses premières études. Sans doute il ne semble pas que son père se soit inspiré du précepte qui recommande de proportionner le travail à l’âge et aux forces de l’enfant : l’éducation de Stuart Mill fut une éducation surmenée, qui rappelle l’éducation fantastique de Gargantua, telle que Rabelais l’a décrite. La précocité de ce grand esprit rendit possible de bonne