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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

tres. Le nombre de ces agrandissements successifs sera le même de part et d’autre ; d’après Fechner, les accroissements de sensation correspondants sont tous égaux, de manière qu’au total les deux sensations se sont élevées de la même quantité ; de sorte que les 50 millimètres d’un côté et les 50 centimètres de l’autre feraient sur l’âme le même effet ! Si un poids de 30 grammes reçoit un accroissement de 30 grammes, ces 30 grammes supplémentaires agissent sur nous comme 3 kilogrammes ajoutés à un poids de 3 kilogrammes ! Si l’on place les deux mains à plat sur une table, que l’on charge l’une d’un disque de métal, et l’autre de cinq disques semblables, puis que brusquement on ajoute d’un côté un disque, et de l’autre cinq disques, on devrait juger égales les deux impressions de surcharge ! Ce sont là certes des conséquences inacceptables.

Ce raisonnement me paraît juste. Je me permettrai même de l’étendre. Supposons que sur l’une des mains il y ait 30 disques et sur l’autre 300. Si de part et d’autre j’augmente insensiblement la charge, je m’apercevrai d’un surcroît quand sur la première main j’aurai ajouté 10, et sur la seconde 100 disques, car le minimun perceptible pour la pression est, d’après Weber, d’environ un tiers. Dans ce cas, les sensations auront crû chacune d’un minimum perceptible. Ces deux minima sont-ils égaux ? Là gît toute la question. À certains égards on peut répondre oui, puisque en deçà il n’y a pas de sensations ; mais à d’autres égards on peut répondre non, parce qu’en fait la main chargée de 30 disques est un autre individu sensible que la main chargée de 300 disques. Vouloir comparer les sensations de ces deux mains, c’est vouloir établir un parallèle entre la manière de sentir de deux personnes différentes ; bien mieux, de deux personnes dont l’une serait déjà épuisée et l’autre pleine de vie et de force. Si l’on se range à cette manière de voir, et si l’on ne prend en considération cette fois-ci qu’une seule main, dont on augmente graduellement la charge de manière à produire chaque fois un minimum de sensation, on comprend immédiatement pourquoi on ne peut considérer ces minima comme égaux, car on a chaque fois agi sur une main dont la sensibilité a été diminuée et qui demande par conséquent de plus fortes excitations pour être encore en état de sentir. À ne considérer que les faits, la loi de Fechner est donc fausse, parce qu’elle ne tient pas compte de l’altération éprouvée par l’organe à la suite de l’excitation même à laquelle il est soumis. Mais il pourrait se faire qu’elle fût exacte d’une manière abstraite, c’est-à-dire, en tant qu’appliquée à des organes d’une élasticité parfaite et toujours aptes à réagir d’une façon adéquate.

Cette réserve faite, je concède tout-à-fait à M. Hering sa conclu-