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force propre, l’état vibratoire de la matière excitante. La sensation peut donc revêtir deux caractères opposés suivant que l’excès de force est extérieur ou intérieur. On sent le chaud, si la température ambiante vient augmenter le mouvement moléculaire actuel de la peau, et le froid, dans le cas contraire.

Loi de progression entre la quantité d’excitation et la quantité de sensation correspondante. L’expérience, du moins pour certains ordres de sensation, la lumière notamment, établit que, pour obtenir entre l’état actuel de la sensibilité et celui qui lui succède des contrastes sensibles égaux, il faut que les quantités d’excitation aillent progressivement en augmentant ou en diminuant ; et cette progression, dans son aspect général, est géométrique. Or si nous cherchons à pénétrer la nature de cette loi, l’analogie nous met sur la voie. La substance nerveuse peut très-légitimement être assimilée à un corps élastique dont les molécules affectent naturellement une certaine position d’équilibre. L’excitation vient les tirer de cette position, et elles lui opposent une certaine résistance. Elles finissent cependant par céder et par s’adapter à l’état du milieu ambiant ; c’est cette adaptation, en général assez rapide, qui produit le phénomène de dégradation dont il vient d’être parlé. Elles adoptent un état d’équilibre statique momentané. La sensation est proportionnelle à l’écart obtenu. Si maintenant on veut effectuer un nouvel écart égal, on conçoit sans peine que la résistance a nécessairement augmenté, et qu’on doit par conséquent faire croître l’excitation d’une quantité plus considérable que la première fois, et ainsi de suite. Si, par exemple, je presse sur un piston pour diminuer le volume d’un gaz renfermé dans un cylindre, et si je vise à obtenir une diminution constante, il va de soi, l’expérience et le calcul le prouvent d’ailleurs, que mes efforts doivent aller en croissant avec une rapidité beaucoup plus grande que celle que met le volume à se contracter. Or il se trouve précisément que la loi qui règle les rapports du travail de compression et de la diminution de volume est identique à la loi de Fechner, telle qu’elle peut se formuler à la suite des modifications que je lui ai fait subir. La sensation serait donc proportionnelle au travail de l’excitation.

L’observation journalière vient d’ailleurs confirmer cette théorie. En chemin de fer, il faut élever très-fort la voix pour se faire entendre de son voisin. Et, en passant même à des faits d’une analogie plus éloignée, est-ce qu’on ne s’habitue pas si vite aux excitants alcooliques ou narcotiques qu’il faut progressivement en augmenter la dose ? Ceci dit pour le moment, afin de repousser à priori le reproche d’invraisemblance adressé à la loi de Fechner.