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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

nant de l’eau tiède à un même degré et qu’elles soient habituées à cette température : elles n’éprouveront aucune sensation. J’augmente brusquement la température d’un des deux bassins, il y a instantanément contraste, et ce contraste va s’affaiblissant jusqu’à ce que ma main se soit accommodée à la nouvelle température, et qu’ainsi il disparaisse. Je produis maintenant un nouveau contraste en augmentant encore une fois rapidement la température du bassin. Jusqu’à quel point puis-je juger par le sentiment que ce contraste est égal au premier ? c’est ce qui paraît bien incertain au premier abord. Dans l’expérience des anneaux lumineux, l’œil a toujours devant soi les contrastes à comparer, et il les parcourt plusieurs fois avant de se prononcer ; ici rien de pareil n’est possible. Pour lever cette impossibilité, il faudrait que cette seconde main, dont jusqu’à présent il n’a pas été fait usage, fût soumise au premier contraste pendant qu’on soumet la seconde au second contraste, et que l’expérimentateur jugeât instantanément de l’effet. Il est possible dans ces conditions que l’on constate l’existence d’une loi logarithmique. Mais ce qui vient compliquer les expériences, c’est l’extrême sensibilité de la peau qui lui fait ressentir des différences de température à peine accusées par les thermomètres les plus sensibles ; c’est la modification rapide qui est éprouvée par elle dans les premiers moments et qui est cause que le contraste ne se fait sentir avec toute sa valeur que d’une façon éminemment fugitive ; c’est enfin l’impossibilité, peut-on dire, absolue d’introduire les changements d’une manière qui donne prise à la comparaison et à la mesure.

C’est que, en effet, on ne peut procéder par différences considérables. Entre la lumière la plus vive que l’œil peut supporter sans peine, et la plus faible qui lui permet encore de distinguer les objets, il y a une distance énorme ; l’une est plusieurs millions de fois plus intense que l’autre. Mais entre la température normale de la peau, soit environ 18°, et la température la plus haute ou la plus basse à laquelle on peut l’exposer sans danger il n’y a qu’un faible intervalle. De sorte que, en ne tenant pas même compte des difficultés déjà signalées, l’expérience se trouve confinée dans des limites si étroites que les résultats qu’elle pourrait fournir auraient une assez mince valeur. Ajoutons enfin que la sensation de température s’altère facilement et se transforme assez rapidement en malaise, souffrance ou douleur, et l’exactitude du jugement s’en trouve ainsi complètement compromise. Ne sait-on pas qu’en été, une augmentation d’un degré, d’un demi-degré même se traduit parfois pour nous en une gêne indicible, au point de nous faire croire que la température a subi un accroissement d’une tout autre importance[1] ?

  1. Revue scientifique, 15 mai 1875, p. 1089.