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soit la seule qui frappe notre oreille. De là résulte que dans le lointain on ne distingue plus le violon de la flûte, ni en général les instruments à corde des instruments à anche[1]. D’un autre côté, l’instrument peut vibrer tellement près de notre organe auditif qu’il nous déchire le tympan, les fibres correspondant à la note fondamentale ne pouvant s’accommoder à l’amplitude des vibrations de l’air, tandis que celles qui correspondent aux consonnances ont encore une certaine latitude à cet égard.

Nous sommes donc en droit de conclure, que la loi logarithmique s’étant confirmée pour tous les ordres de sensations auxquels l’expérience a été appliquée, on peut, jusqu’à preuve contraire, lui accorder une adhésion provisoire.

X. — Critique de l’argument téléologique

M. Hering s’est lancé dans des arguments téléologiques, je me permets de le suivre sur ce terrain, mais en raisonnant autrement. Il verrait, lui, dans cette altération du timbre un grand inconvénient. Moi je serais plutôt porté à y voir un grand avantage. En effet, elle nous permet jusqu’à un certain point de juger si la source du son est plus ou moins éloignée. L’un des moyens mis à notre disposition pour porter ce jugement, c’est la duplication de notre organe auditif ; il y a une espèce d’angle auditif comme il y a un angle optique. Mais, selon moi, celui qui n’entend plus que d’une oreille saura distinguer si un violoniste joue fort, mais dans le lointain, ou doucement mais dans le voisinage. Et s’il fait cette distinction, c’est que le

  1. Ceci était écrit quand j’entendis raconter à l’illustre P. J. Van Beneden, père, l’anecdote suivante. Ce savant se promenait un soir avec un ami le long d’une colline boisée dans les environs de Chaudfontaine. « N’entends-tu pas, dit tout à coup l’ami, le bruit d’une chasse dans la montagne ? » M. Van Beneden prête l’oreille, et il distingue effectivement les aboiements des chiens. Ils écoutent quelque temps, s’attendant, d’un instant à l’autre, à voir bondir un chevreuil ; mais la voix des chiens semblait ne se rapprocher ni s’éloigner. Ils avisent enfin un habitant du pays et lui demandent qui pourrait bien chasser dans ces bois à une heure si avancée. L’autre, désignant du doigt quelques flaques d’eau qui se trouvaient à leurs pieds : « Ce sont, répondit-il, ces petites bêtes que vous entendez ! » Il y avait là, en effet, des sonneurs en feu (Bombinator igneus) espèce de petit crapaud gris, couvert de pustules, à ventre jaune tacheté de noir. Ce petit animal fait entendre, dans la saison des amours, un petit cri argentin ou plutôt cristallin, comparable au son qu’on obtient en frappant sur un verre. Cette voix triste et pure, ne rappelle rien qui ressemble à la voix des chiens courants. Mais il résulte évidemment de ce fait, que les aboiements des chiens, entendus dans le lointain, ont un timbre analogue au cri du sonneur en feu. Donc l’éloignement altère le timbre dans une mesure qui peut être assez notable.