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rale sur une conception idéale de la vertu, originale, à priori, comme la conception mathématique idéale du triangle ou de la ligne. À quel titre, selon ces philosophes, s’impose absolument à notre volonté ce commandement absolu du devoir ou de la vertu ? D’où vient-il ? quel en est le légitime fondement ? Ils laissent ces questions sans réponse, si bien que ce commandement absolu, mais arbitraire, sans titre et sans raison, ressemble, comme l’a dit M. Janet, à celui d’un maître à un esclave et rappelle les caprices de la dame romaine de Juvénal :

Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.

Nous croyons qu’il est possible, au grand avantage de la science de nos devoirs, d’éviter l’un et l’autre écueil. Sans se suspendre à l’absolu, sans escalader le ciel, sans interpréter à notre guise les mystères de l’ordre universel et de la fin dernière des choses, en demeurant au sein de l’homme lui-même, nous pouvons trouver une règle prochaine, immédiate, qui néanmoins nous oblige, qui soit immuable, et dont nous voyions clairement la raison. Non-seulement en effet cette règle n’est pas loin de nous, mais elle est en nous ; non-seulement elle est en nous, mais elle n’est pas autre, dans son essence même, que notre propre nature. C’est notre nature, en effet, qui est à la fois sa forme et son contenu. Est-ce donc à dire qu’elle soit dans la dépendance de tout ce qui change en nous, de nos passions, de nos caprices, de nos intérêts, comme le prétendent les philosophes empiriques dont tout d’abord nous nous sommes hautement séparés ?

Cette conséquence s’imposerait à nous sans doute, si en effet tout dans l’homme était variable et changeant. Mais n’y a-t-il donc rien en lui qui demeure le même, au milieu de ce qui change ? Sa nature, son essence même, sont-elles donc variables comme les lois ou comme les modes ? Sur cette essence immuable nous croyons pouvoir fonder une règle immuable. Cependant, pour prévenir les fausses et les mauvaises interprétations, il importe de bien définir ce qu’il faut entendre par cette nature de l’homme qui doit être, selon nous, son unique règle et sa loi suprême.

Après Aristote, après les Stoïciens, après l’École, Jouffroy, à son tour, a démontré avec une force irrésistible le rapport qui existe entre la nature d’un être et sa fin, l’identité de sa fin et de son bien.

On ne peut mieux que lui justifier la vieille maxime : la fin se réciproque avec le bien. Comment, en effet, s’arrêter à la pensée d’un être qui, agissant conformément à sa nature, agirait contrairement à son bien ? Agir conformément à sa nature, comme disaient les Stoï-