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beurier. — philosophie de m. renouvier

Quelles sont les contradictions que M. Renouvier reproche à Kant et comment a-t-il essayé de s’en affranchir ? C’est ce que nous aurons à examiner : mais auparavant, pour en finir avec ces généralités, je ne puis me dispenser de signaler ici un reproche qui a été fait de tout temps à l’auteur des Essais. On lui a toujours reproché la lourdeur et l’obscurité de son style. Proudhon, d’ailleurs piqué au vif par certaine critique de M. Renouvier sur l’abus qu’il faisait des procédés de l’éloquence, ripostait déjà vertement : « M. Renouvier serait fort surpris si je lui disais à mon tour que ce qui fait qu’à mon avis il ne sera jamais, lui, malgré toute sa science, un vrai philosophe, c’est qu’il ne sait pas écrire. » M. Janet, de son côté, estime « que M. Renouvier manque du talent d’exposition, qu’il est de ceux qui pensent pour eux-mêmes dans le silence du cabinet, ou pour quelques amis habitués à leur langue, mais qui ne savent pas s’introduire dans la pensée d’autrui. » Kant, lui non plus, n’avait pas le talent d’exposition et il le confessait franchement. Son continuateur essaie de se disculper, en alléguant qu’on ne saurait arriver à la clarté vulgaire qu’à la condition de renoncer à « fonder la philosophie comme science. » Ailleurs il s’exprime ainsi : « Je crois parfaitement qu’on peut être à la fois un vrai philosophe et savoir écrire, quoiqu’il me semble certain, à consulter les faits, que tous ceux qui ont su écrire n’ont pas été de vrais philosophes et’vice versa[1]. » Il ne me semble pas que Lequier, pour ne pas parler de Platon, d’Aristote, de Descartes, de Malebranche et de tant d’autres, aurait été de cet avis. Il arrive du reste à M. Renouvier lui-même en maint endroit d’écrire fort bien. Il a nombre de pages éloquentes et chaleureuses qui prouvent que s’il a réglé sévèrement son imagination, il ne l’a pas étouffée : il est au fond, qu’on n’en doute pas, un très-grand imaginatif. D’autres passages, d’un tout autre style, sont également très-beaux dans leur forme abstraite et concise. Mais d’une manière générale la phrase est pénible, surchargée, embarrassée : l’auteur ne saurait aspirer et n’aspire pas au talent d’écrivain. Son plus grand défaut est de se répéter trop souvent, c’est de revenir constamment de chapitre en chapitre sur les mêmes idées (enrichies, il est vrai, de nouveaux développements), de sorte qu’à chaque moment les mêmes questions paraissent se reposer in integro. Sans doute chaque conclusion acquise éclaire de sa lumière toutes celles qu’on a déjà obtenues : mais une trop grande lumière rend tout indistinct en mettant tout sur le même plan.

On a fait aussi à notre auteur une autre critique à laquelle, quoi-

  1. Psychologie rationnelle, II, 128.