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Toute représentation a la propriété de se dédoubler, et par ce dédoublement elle constitue la conscience. En même temps elle nous offre, ou plutôt elle s’offre, en qualité d’objets, les séries de faits qui constituent le monde, la succession des sensations, pensées et volitions dont elle compose le moi. D’après de telles données, le criticisme de M. Renouvier paraît devoir être le phénoménisme le plus intempérant qui ait été exposé depuis David Hume. Il n’en est rien : l’auteur échappe au phénoménisme par la constatation empirique des lois qui relient et ordonnent les faits de manière à en former des relations constantes et des groupements stables, encore que relatifs, et il réfute l’empirisme, conformément à la doctrine kantienne, par l’établissement de principes aprioriques, « catégoriques » qu’impliquent toute donnée de l’expérience et tout exercice de l’entendement.


Rien n’est qui ne soit relatif, puisque rien ne nous est donné en dehors et séparément de rien, et sans s’offrir à la conscience comme composé au moins de deux éléments, l’objectivé et l’objectivant, or toute composition est relation, « Enveloppés et enveloppants mutuellement, les phénomènes s’enchaînent et se déroulent selon de certains ordres : rien ne nous est donné que par synthèse et rien ne nous est éclairci que par analyse. Donc, tout est relatif pour la connaissance. Tout est relatif, ce grand mot du scepticisme, ce dernier mot de la philosophie de la raison pure dans l’antiquité, doit être le premier de la méthode moderne et par conséquent de la science, dont il trace la voie hors du domaine des illusions[1]. »

Tout est relatif, donc tout implique des relations, c’est-à-dire des lois, c’est-à-dire un certain ordre, et en effet « la relativité des phénomènes est réglée et permanente en ses modes de composition et de changement de composition, et cela même est un phénomène que l’expérience constate, autant qu’elle est consultée, dans toutes les sphères possibles… Cette permanence de l’ordre, inséparable de l’ordre lui-même, est un phénomène général… Tout ordre qu’une relation constitue, s’il est constant ou supposé tel, prend le nom de loi. » Ainsi la conscience est une loi, puisqu’elle est le « phénomène composé, produit ou reproduit d’une manière constante, et représenté comme le rapport commun des phénomènes dans l’homme. » Disons mieux, la conscience est une fonction, la fonction des fonctions humaines. La loi nous fait envisager les relations en elles-mêmes à l’état d’immobilité : l’idée de fonction est l’idée de la variabilité des rapports embrassés par les lois, en tant que les rap-

  1. Logique générale, I, 111.