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lewes. — marche de la pensée moderne

comme ayant plus ou moins d’ondulations ; et ainsi nous pouvons, par abstraction, en laissant de côté tous les caractères qualitatifs, représenter l’échelle des couleurs par une échelle d’ondulations. Mais c’est là une fiction idéale. C’est la représentation d’une série de sensations par une autre série de sensations différentes. Aucune variation dans les ondulations ne correspondra en réalité à une variation dans la couleur, à moins que nous n’introduisions de nouveau la qualité supprimée qui existe dans toute couleur. Essayez de faire sentir ou même comprendre une couleur à un aveugle de naissance en lui décrivant le genre d’ondulation qui la forme, et la vanité de l’effort sera manifeste. Il connaît le mouvement et les variétés du mouvement tels qu’ils sont donnés dans les sensations tactiles et musculaires, mais aucune expérience ne peut lui communiquer la sensation de couleur. C’est un état purement subjectif, qu’il est incapable d’éprouver, simplement parce qu’un des facteurs essentiels est absent. Une série des conditions objectives est présente, mais l’autre série (son organe sensible) est défectueuse. Sans « le souffle de l’esprit » les ondulations ne peuvent pas devenir des couleurs (ni même des ondulations, car celles-ci sont aussi des formes de la sensation). Outre l’organe sensible il faut encore le sentiment de la différence qui est lui-même le résultat des sensations passées et présentes. La reproduction d’autres couleurs ou d’autres nuances d’une couleur est nécessaire à cette perception de la différence ; et celle-ci implique l’élément de la ressemblance et de la dissemblance entre ce qui est produit et reproduit. Ainsi une certaine coopération mentale est nécessaire même pour la plus simple perception de la qualité. En réalité l’analyse psychologique montre que même le mouvement et la quantité, ces deux termes objectifs auxquels la qualité subjective est réduite, sont eux-mêmes des caractères fondamentaux non pas transcendantaux et a priori, comme dans la doctrine de Kant, mais immanents dans la sensation ; de sorte qu’ici, comme ailleurs, c’est seulement par un artifice d’analyse que l’objectif peut être séparé du subjectif. La matière est pour nous ce qui est senti ; ses qualités sont des différences de sensation.

Il ne faut pas interpréter ce résultat comme s’il débarrassait notre conception théorique de son côté objectif et comme s’il nous conduisait à l’idéalisme, qui supprime la réalité de l’univers. Ceux qui nient toute réalité en dehors de notre intelligence commettent une double erreur ; ils confondent la conception des rapports généraux avec les rapports particuliers en déclarant que le monde extérieur dans ses rapports avec l’organisme sensible, pouvant seulement être ce qu’on le sent être, ne peut par conséquent pas avoir