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universelle, de modifier le mouvement de l’univers ; mais ce mouvement dans sa totalité nous étant inconnu, il en est de même de ses modifications possibles. On affirme à tort la fixité de la quantité de matière dans la totalité du monde ; on affirmerait à tort la création de matière hors des limites de notre expérience ; nous n’avons aucun moyen de contrôler les suppositions de cet ordre.

On peut encore citer ici des conjectures qui ne sont point interdites à l’esprit humain, qui ont leur place légitime dans la poésie, mais qui demeurent en dehors d’une science rigoureuse. Y a-t-il des mondes autres que la terre, peuplés de créatures intelligentes ? Pour ma part, je n’en doute pas. Une analogie puissante nous porte à penser que, dans la multitude des planètes qui circulent autour d’innombrables soleils, il s’en trouve qui ont réalisé comme la nôtre les conditions de la vie, et sur lesquelles a paru la vie et l’existence spirituelle ; mais nous n’avons aucun moyen d’élever cette conjecture, si plausible qu’elle soit, à la hauteur d’une démonstration. Existe-t-il des créatures intelligentes supérieures à l’homme ? Cela doit paraître aussi très-probable par analogie, en partant de la considération de l’échelle des êtres. Dans tous les cas, cela est possible, et cette possibilité suffit pour exclure l’affirmation que l’homme est le sommet de l’univers, affirmation qui manque à la fois de prudence et d’humilité ; mais on ne voit pas comment on pourrait rencontrer à cet égard, dans l’ordre de la science, une de ces probabilités qui croissent jusqu’à la certitude.

Des hypothèses non-vérifiables n’ont pas d’entrée légitime dans le domaine de la science ; mais cette règle demande à être appliquée avec prudence. Il s’agit d’une limite difficile, et même impossible à tracer d’une manière absolue, parce que les hypothèses qui ne sont pas vérifiables à un moment donné peuvent le devenir par la suite, comme nous aurons l’occasion de le constater, en parlant de l’état de la science.

Une question de philosophie générale s’offre ici à notre examen. Le positivisme n’admet dans la science que des lois exprimant notre expérience actuelle et rejette, à titre d’hypothèses qu’on ne saurait vérifier, toute théorie qui dépasse la simple « coordination des faits[1]. » Il interdit en conséquence toute recherche relative aux causes, aux buts des phénomènes, à des réalités quelconques dépassant le domaine de l’observation immédiate. Les positivistes distinguent le domaine de la science et un autre domaine qu’ils considèrent comme celui de l’imagination ou du sentiment. Les uns nient résolu-

  1. Auguste Comte. Cours de philosophie positive, au début.