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l’autorité d’Aristote comme décisive. Après lui, et en grande partie par l’effet même de son œuvre, les décrets d’Aristote en matière de sciences naturelles, comme en toute autre chose, furent presque élevés au rang de dogmes. Dans le dialogue de Galilée sur les systèmes du monde, un des interlocuteurs fait valoir les arguments qui militent en faveur de la découverte de Kopernik. Simplicius, le défenseur de la tradition, raisonne ainsi : « Aristote enseigne que dans un corps simple, il ne peut y avoir naturellement qu’un mouvement simple. Kopernik attribue plusieurs mouvements à la terre, donc le système de Kopernik est faux[1]. » Louis de Colonna, formulant la théorie générale à laquelle s’appuie l’argument de Simplicius, établit en principe que la nature parle par la bouche d’Aristote, natura locuta est ex ère illius[2]. Dans le traité de physique de Scipion Dupleix qui date de l’an 1600 environ, les opinions du philosophe prennent très-souvent la place des faits. À une époque où l’autorité politique intervenait ouvertement et fréquemment dans les questions de doctrines, il fut rendu divers décrets pour maintenir, par l’emploi de la puissance sociale, l’opinion régnante contre les efforts des novateurs. Giordano Bruno étant arrivé à Genève, vers 1580, ne fit dans cette ville qu’un rapide séjour ; et nous savons, par le témoignage de Théodore de Bèze, que « les Genevois avaient décidé une bonne fois pour toutes que, ni en logique, ni en aucune branche du savoir, on ne s’écarterait chez eux des sentiments d’Aristote. » En 1624, un édit du Parlement de Louis XIII défendit à toute personne, sous peine de la vie, « de tenir ni enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs et approuvés. » Après une lutte violente l’indépendance de la recherche scientifique s’affirma, et finit par triompher. Ce triomphe a été formulé par la plume de Pascal dans sa préface du Traité du vide. Il distingue les questions de fait et de témoignage, pour lesquelles on ne peut s’en rapporter qu’à l’autorité de la tradition, et des questions de théorie qui doivent être résolues par l’emploi de la raison et de l’expérience, puis il écrit : « ; Les hommes sont aujourd’hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient les anciens philosophes, s’ils pouvaient avoir vécu jusqu’à présent, en ajoutant aux connaissances qu’ils avaient celles que leurs études auraient pu leur faire acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que par une prérogative particulière, non-seulement chacun des hommes s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la suc-

  1. Galilée, par le Dr Parchappe, page 384.
  2. Conti, Storia della Filosofia, tome II, leçon 16.