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si elles étaient le simple résultat de leurs antécédents, elles arriveraient toujours à leur heure, j’entends au moment où l’état de la science qui les aurait produites, permettrait de les vérifier ; or cela n’est pas.

On peut citer en grand nombre des exemples d’idées scientifiques vraies, mais qui ont disparu de la science, pour un temps quelquefois très-long, parce qu’elles avaient été conçues avant l’époque où il était possible de les démontrer. Kopernik nous instruit lui-même qu’il a trouvé dans les anciens le germe de sa théorie. Nous savons en effet par le témoignage d’Aristote[1], que les Pythagoriciens enseignaient que la terre accomplit une évolution autour d’un feu central, et que c’est à un mouvement de la terre qu’est due la succession du jour et la nuit. La théorie de ces Pythagoriciens, qu’Aristote énonce pour la combattre, n’est pas fort claire pour nous, parce qu’il est douteux que leur feu central soit le soleil. Quoi qu’il en soit, Kopernik reconnaît expressément que c’est dans la lecture des anciens qu’il a rencontré le germe de sa théorie. Voilà donc une hypothèse universellement admise aujourd’hui à titre de vérité certaine, et qui a été si peu le produit naturel de l’état de la science, à l’époque de son apparition première, qu’elle a dormi plus de vingt siècles. On trouverait sans doute plusieurs exemples analogues pour l’antiquité, en consultant l’ouvrage de Dutens intitulé : Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes, où l’on démontre que nos plus célèbres philosophes ont puisé la plupart de leurs connaissances dans les ouvrages des anciens[2]. J’indique ce livre comme une source à consulter, sans me porter garant des affirmations de fauteur. Prenons des exemples plus récents.

Roger Bacon, moine du xiiie siècle, en réfléchissant sur les forces physiques dont l’homme peut disposer, arrive à la conception de voitures qui, sans l’emploi d’aucun animal de trait, pourraient se mouvoir avec une étonnante rapidité[3]. Voilà le germe distinct, bien longtemps enfoui, de la construction de nos chemins de fer. Il indique aussi, d’une manière précise, la possibilité de fabriquer avec du verre un instrument au moyen duquel on pourrait discerner les objets très-éloignés et distinguer des étoiles qui échappent à l’œil nu[4]. Voilà l’indication du télescope, près de trois siècles avant

  1. Traité du Ciel. Livre II, chapitre 13.
  2. 2 volumes in-8o. Paris, 1766.
  3. Currus etiam possent fieri ut sine animali moveantur cum impetu inestimabili. — Xavier Rousselot. Etudes sur la philosophie dans le moyen-âge. Troisième partie, chapitre 20.
  4. Possunt etiam sic figurari perspicua ut longissime posita appareant propinquissima et e contrario ; ita quod ex incredibili distantia legeremus litteras