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tant, même dans ces sonnets, il y a plus de zèle et de respect pieux que d’imagination poétique. C’est l’influence allemande, d’une part, et l’influence latine de l’autre, qui ont peu à peu altéré la religion de l’Angleterre. L’exégèse, et cette autre tendance toute romaine qui, dans la langue des partis, s’appelle le ritualisme[1] : telles sont les causes qui, au-delà du détroit, ont profondément modifié la manière de croire. À mesure que la critique éclairait la foi et lui créait le désir de s’adapter à une interprétation nouvelle, soit du dogme, soit de l’histoire ; à mesure aussi que le catholicisme, son gouvernement, son culte, son idéal, son art, exerçaient plus de prestige sur l’imagination anglaise, la croyance religieuse ébranlée appela à son aide sinon d’autres principes, du moins d’autres motifs. Il y a un moment de crise où la foi, troublée, incertaine, se redresse dans un dernier effort, et menacée de ne plus croire, s’arme de désir, de volonté, d’énergie, pour croire encore. Ce siècle a trop connu, pour qu’il soit la peine d’y insister, l’épreuve, souvent douloureuse, au prix de laquelle la foi devient l’envie de croire, le parti-pris de croire ; foi militante et désespérée, qui n’est plus que le point d’honneur et la gageure, jusqu’à ce que, lassée de la lutte, impuissante à la soutenir, la croyance se résigne, les convictions disparues, à croire par noblesse ; telle une légitimité vaincue, qui fait encore honneur à son drapeau. Mais cette généreuse chimère ne peut créer d’illusion, et dans l’œuvre ardue de persister en une croyance sans fondements, il y a, naturellement, un peu d’art. Bientôt l’art domine, et de la foi primitive il ne reste plus que l’art de croire. C’est le dilettantisme en religion. Avant d’atteindre à cette extrémité, la pensée anglaise, initiée à la critique allemande par de grands esprits, Samuel Taylor, Coleridge et Thomas Arnold[2], convertie, ou du moins, indulgente à certaines formes catholiques, que lui recommandaient les Tractariens[3] d’Oxford, Pusey et Newman, avait fait bien du chemin. Aujourd’hui, dans l’émancipation universelle de la conscience anglaise, les yeux se sont ouverts à la beauté tout humaine de la religion ; la Bible et le Testament ont pu être admirés pour leur haute et sublime poésie. La religion s’est rapprochée de l’esthétique. Et l’heure est venue où, impunément, un Anglais, comme pour répondre à Chateaubriand, a pu écrire « le Génie du protestantisme. » Tel est le sens, et tel pourrait être le titre du livre de Matthew Arnold : Literature and Dogma[4].

  1. Le ritualisme est la tendance à se rapprocher, en Angleterre, du culte et de la liturgie romaine.
  2. Thomas Arnold, le père de Matthew Arnold, civilisé par l’influence qu’il exerça à la grande école de Rugby, fut avec Coleridge, un des plus fermes défenseurs de la Large Église, Broad Church. — Sa vie a été écrite par le doyen de Westminster, Stanley.
  3. Les Tractariens, ainsi nommés de la série de Tracts (traités) qu’ils publièrent à Oxford, représentaient cette fraction de l’Église anglaise, qui tendait à se rapprocher des formes romaines. Pusey a donné son nom à l’école : le puseysme. — Newman est devenu catholique.
  4. Ce titre est plus significatif que le titre de la traduction française.