Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
ANALYSESjules gérard. — Maine de Biran.

plement le poids de mon bras. Je ne vois là que deux phénomènes physiques, la contraction de mes muscles et le travail mécanique qui en est la conséquence. Accordez maintenant que la contraction musculaire est accompagnée d’une sensation spéciale, je me demande si tout n’est pas expliqué. Tout se réduirait ainsi à un acte de volonté qui n’est pas un effort ; à une contraction musculaire et à une sensation d’effort qui accompagne cette contraction. Mais quel rapport y a-t-il entre la contraction musculaire et la sensation qui en est la suite ? le même qu’entre une sensation quelconque et l’impression qui en est l’origine. Tout le monde convient qu’il n’y a aucune ressemblance entre telle ondulation de l’éther et la sensation de jaune ; de même, il n’y a aucune ressemblance entre la contraction musculaire et la sensation d’effort. Mais quel lien avait donc la sensation avec l’impression ? Je n’en sais rien, pas plus pour le phénomène de la contraction que pour celui de la vision.

Quand deux personnes se poussent réciproquement la main, je vois là deux phénomènes mécaniques de contraction musculaire, accompagnés, chacun, d’une sensation d’effort. Quand l’une de ces personnes presse une table de sa main, il y a là deux phénomènes mécaniques, un dans la main et l’autre dans la table ; le premier est accompagné d’une sensation et l’autre ne l’est pas, parce qu’une personne est un être sensible et qu’une table n’en est pas un. Le cas serait absolument le même si l’on supposait qu’un treuil était tourné successivement par un homme et par une machine. Il y a dans les deux cas un phénomène mécanique, mais il y a de plus une sensation dans le premier cas qui n’existe point dans le second.

Peut-être fera-t-on remarquer que la sensation musculaire diffère essentiellement d’une sensation ordinaire, d’une sensation visuelle, par exemple. Le point de départ d’une sensation ordinaire est toujours extérieur, c’est l’action d’un agent physique sur un organe convenable : au contraire, le point de départ d’une sensation musculaire est un phénomène intérieur, c’est un acte de la volonté. — Si l’on veut avoir la série des phénomènes, telle que nous la connaissons, il faut dire : Il y a d’abord un acte de volonté ; cet acte met en branle le système nerveux ; l’action nerveuse fait contracter les muscles ; cette contraction musculaire met en branle les nerfs de la sensibilité et le tout se termine par une sensation d’effort. Nous avons ainsi une série de phénomènes physiologiques ou mécaniques qui se développe entre deux phénomènes psychologiques, l’acte de volonté au début, et la sensation musculaire à la fin. Au reste, chaque fois qu’un phénomène psychologique ou conscient provoque un phénomène physiologique ou inconscient, ou bien est provoqué par lui, il y a là un mystère inexplicable dans l’état actuel de la science.

Resterait à dire que l’effort dont parle Maine de Biran consiste dans l’acte de volonté qui met en mouvement l’encéphale et provoque ainsi toute la série des phénomènes. Mais alors, ou bien l’organisme n’est