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La classification des sentiments en sensoriels, esthétiques, intellectuels et moraux est traitée par M. Léon Dumont de classification banale, mot qui chez nous a une signification peu flatteuse. En outre, il prétend que je commets une confusion perpétuelle, c’est-à-dire que je confonds toujours les sentiments avec les états qui les accompagnent. Une odeur ou une saveur ne sont pas, d’après M. Léon Dumont, des sentiments, mais des perceptions ; de même l’orgueil, la pitié, l’amour, la haine ne sont pas des sentiments, mais seulement des états de la volonté. D’après mon honorable critique, le sentiment est incapable d’exercer sur le corps une influence directe quelconque ; cette influence est exercée par l’état dont il est l’accompagnement ; il ne peut non plus être ni reproduit ni représenté ; c’est encore le fait concomitant qui forme l’objet de la représentation.

Si M. Léon Dumont, au moment de critiquer l’opuscule en question, avait voulu avoir la bonté de consulter mes Analyses psychologiques, il n’aurait certes pas manqué de remarquer que ce qu’il croit nécessaire de désigner comme confusion, erreurs, absurdité, est uniquement l’expression de l’opinion fondamentale que je me suis proposé de démontrer dans mes écrits psychologiques, à savoir : de l’opinion que le sentiment est l’activité psychique dans sa forme la plus simple, la plus élémentaire, la plus générale, et que cette activité est le point de départ de tous les autres processus psychiques.

En vérité, après avoir employé plus de quarante feuilles d’impression pour prouver cette opinion, j’ai assez peu de modestie pour croire qu’il ne suffit pas d’une simple attaque pour la renverser.

Une odeur ou une saveur sont toujours ou agréables ou désagréables. La matière ne peut produire aucune sensation de l’odorat ou du goût. Mais tout ce qui a une odeur ou une saveur, a une odeur ou une saveur bonne ou mauvaise. Il n’y a point d’odeur ou de saveur indifférentes. L’odeur et la saveur sont donc des sentiments, outre qu’elles sont également des représentations. La question est de savoir ce qu’elles sont en premier lieu : sentiment ou représentation. Je prétends qu’elles sont d’abord un sentiment ; on peut discuter cette opinion, mais on n’a pas le droit de m’accuser pour cette raison de commettre une confusion.

En outre, il est permis de douter si la classification des sentiments primaires en sensoriels, esthétiques, etc., que j’ai empruntée à la psychologie ancienne, est la meilleure ou s’il n’est pas possible d’en imaginer une autre meilleure ; on peut également douter si les différences les plus importantes entre les sentiments ont précisément pour condition la question de savoir d’où ceux-ci tirent leur origine : proviennent-ils de l’activité d’un sens et de quel sens ? procèdent-ils de l’activité de l’intelligence ou de la volonté ? Mais qu’en général la différence de la cause extérieure et de l’origine psychique doive nécessairement produire une différence très-marquée dans les sentiments, ce fait peut seulement être mis en doute par celui qui, par amour pour sa