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beurier. — philosophie de m. renouvier

science est de composer distinctement les synthèses obscures de la connaissance[1].

Les thèses et antithèses du système des catégories ne contiennent pas la science universelle, quand même l’analyse pourrait poursuivre le développement des synthèses primitives jusqu’à ses dernières limites. « En déroulant ainsi tout le contenu abstrait des catégories, œuvre difficile, sujette à beaucoup d’erreurs, et qui ne peut être le résultat que de travaux collectifs et prolongés, on n’arrivera pourtant qu’à dessiner le squelette de la représentation. Cet ensemble de formes sans vie, immobile, inapte à donner les fonctions particulières, sera le système des règles du savoir, non le tableau de l’esprit et de la nature. Toute la représentation ne consiste pas dans les rapports généraux qui la dirigent ; il faut y joindre une matière des phénomènes déterminés particulièrement, tels que les donne l’expérience, l’ensemble des relations de fait, dans leurs modes concrets, dans leurs modes variables, en un mot, les rapports effectifs de nombre, étendue et durée, les espèces, les changements, les causes, les fins, les personnes, le monde[2]. » La question que se pose la science est donc celle-ci : Une synthèse du monde, c’est-à-dire une synthèse unique et totale des phénomènes objets d’une expérience possible sous une conscience quelconque, peut-elle être faite ?

La réponse est évidemment négative pour tous ceux qui admettent la régression et la progression à l’infini dans tous les sens. M. Renouvier, on le sait, est contraire à cette théorie. Il reconnaît bien, il est vrai, que d’après les suggestions de l’expérience, d’après l’habitude invétérée que nous avons de passer sans cesse empiriquement de la partie au tout, d’un tout à un tout plus vaste, nous sommes amenés à déclarer le monde, ou le tout des tous, indéterminé et infini de pluralité, de temps, d’espace, sans origine, sans cause, sans fin, sans conscience. Mais, d’après les catégories, il est inadmissible qu’une synthèse réelle, comme l’est le monde dans ses phénomènes passés et présents, ne soit pas déterminée en fait et ne forme pas un nombre effectif. Il n’y a pas là antinomie, ce qui entraînerait la ruine du principe de contradiction et par suite de la science, puisque « le principe d’identité est toujours nécessaire à la position et au jeu des relations ; » il y a seulement une extension illégitime, encore que spontanée, de l’application des catégories[3], qui semble

  1. Logique générale, III, 6.
  2. Id. 7.
  3. Cette extension, déclarée illégitime par M. Renouvier, n’est pas autre chose que la loi de la raison, la loi de l’inconditionné de la doctrine kantienne. C’est sur elle que Kant se fonde, à tort selon moi, pour établir ses antinomies.